Lacan, l’exposition. Quand l’art rencontre la psychanalyse

On ne dira pas, comme Roland Barthes à la fin de sa troisième et dernière séance avec Lacan : « Résultat : Wallou ! » Même si l’on ne sait pas déchiffrer les arcanes de la pensée lacanienne, on pourra trouver cette exposition passionnante. Les organisateurs – deux commissaires historiens d’art aidés de deux psychanalystes – ont extrait des séminaires et des écrits du Docteur Jacques Lacan (1901-1981) quelques “grandes articulations conceptuelles” et les ont illustrées par des œuvres qui leur font écho, ou qui, de façon plus personnelle, reflètent l’intérêt du psychanalyste pour l’art et les artistes. Lacan était ami avec André Masson, connaissait bien Dali qui s’était intéressé à sa thèse sur la paranoïa, ainsi que Picasso qui lui avait demandé d’accepter Dora Maar comme patiente.

Passée la première partie consacrée à la vie, l’œuvre et des extraits des correspondances de Lacan, les salles sont dédiées à certains de ces concepts : “Lalangue”, “Le Nom-du-Père” et le calembour qui en dérive dûment exploité par Sophie Calle (Les non-dupes-errent, 2018). Ou encore : “Objet a”, “Stade du miroir”, “Corps morcelés”. Malgré les cartels, certaines de ces notions resteront obscures pour le commun des mortels qui n’en appréciera pas moins les œuvres les illustrant, créées bien après le décès du psychanalyste.

Plus proches des goûts du maître, certaines œuvres classiques ponctuent le parcours et l’on pourra – ou non – y retrouver ces articulations. Ainsi le Narcisse, 1597-1599 de Caravage, prêté par le Palazzo Barberini à Rome, illustre l’idée lacanienne que chaque être doit s’identifier à lui-même après avoir pris conscience de sa globalité en voyant son reflet. L’origine du Monde (1866) de Courbet, prêté par le Musée d’Orsay, fut un temps la propriété de Lacan, qui masqua la toile derrière un tableau de son ami André Masson. Dans son sillage, les artistes féminines, telles Rosemarie Tröckel (Replace me, 2009) et Louise Bourgeois (The birth, 2007), semblent s’en donner à cœur joie pour exposer le sexe féminin. Et une photo rappelle la performance de Deborah de Robertis il y a 10 ans, qui, elle, dévoila sans complexe son anatomie en s’asseyant sous le tableau même au Musée d’Orsay.
Un troisième grand classique, est évoqué ici avec le Portrait de l’infante Marie Thérèse (1654), par Velasquez, conservé au Louvre. Dans le vêtement blanc de la même infante, au centre du tableau Les Ménines, 1656, resté au Prado, Lacan voit “l’objet caché”, à savoir “la fente”. Sans surprise, sur les mêmes cimaises, on a accroché un concetto spaziale, une des lacérations de Lucio Fontana dans une toile de couleur chair.

Est-il donc si aisé d’associer une œuvre à une notion conceptuelle ? Le résultat est plutôt probant. Citons notamment deux dessins de Hans Bellmer (belle-mère ! Peut-on faire plus lacanien ?) déconstruisant son père dans la section “Le nom-du-père”. Annette Messager illustrant “Corps morcelés” avec Agathe (2016), un poing tenant deux seins, référence au martyr de Sainte Agathe. La boîte de conserve excrémentielle de Manzoni côtoie l’un des Piss Paintings d’Andy Warhol, sous le label “Petits dépôts sales”. Maurizio Cattelan, dans la salle La femme (le La est barré), diffame la femme, expression lacanienne, avec Sans titre, 2007, en l’entravant et semblant la crucifier dans une sculpture réaliste. Orlan, Louise Bourgeois (très présente dans l’exposition) et Anselm Kiefer illustrent magistralement la section “Jouissances”, qui se confondent avec des extases mystiques sous les regards de Orlan (Vierge blanche au nuage de plastique bulle, 1984/2020) ou Kiefer (Extases féminines, 2013)…

Les commissaires ont voulu offrir une introduction visuelle aux concepts de Lacan en en dévoilant quelques facettes qui ne feront probablement pas du visiteur un expert de sa pensée. Reste que l’adéquation des œuvres choisies dans ce parcours un peu labyrinthique stimule beaucoup, amuse parfois et intrigue souvent. Trois raisons d’aller à Metz voir cette exposition inédite.

Elisabeth Hopkins

Archives expo en France

Infos pratiques

Du 31 décembre 2023 au 27 mai 2024
Centre Pompidou-Metz
1, parvis des Droits-de-l’Homme
57020 Metz
Ouvert tous les jours
sauf le mardi et le 1er mai
Lundi au jeudi : 10h à 18h
Vendredi au dimanche : 10h à 19h
Entrée : 14 €, valable pour toutes les expositions
https://www.centrepompidou-metz.fr


Visuels :

 Le Caravage, Narcisse, 1597-1599. © Photo SCALA, Florence, Dist. RMN-Grand Palais / image Scala.

 Magritte, Le Faux Miroir, 1928, 54 x 80.9 cm © Adagp, Paris, 2023 / Photo © Digital image, MoMA, New York/Scala.

 Annette Messager, Agathe, 2016. Tissu, plastique Kapok rembourrage, 17 x 32 x 22 cm. Courtesy de l’artiste et Marian Goodman Gallery. Photo E.H

 Sophie Calle, Lacan (Parce que les non-dupes errent), 2018. Photographie encadrée. Toile de laine brodée, 39 x 49 x 5 cm. Paris, Collection Frédérique Destribats, courtesy Perrotin. Photo E.H

 Louise Bourgeois, Figure arquée, 1993. Bronze, tissu 116,8 x 193 x 99,1 cm. New York, The Easton Foundation. Photo E.H

 Maurizio Cattelan, Sans titre, 2007. Résine, vêtement, cheveux humains, tissu d’emballage, vis et ancre en bois, 235 x 137 x 47 cm. Collection particulière, courtesy Maurizio Cattelan’s Archive. Photo E.H