Martial Raysse est un artiste actif depuis plus de soixante ans (né en 1936, sa première exposition personnelle date de 1958). Aujourd’hui, il continue à peindre, juché sur un échafaudage ou un escabeau, d’immenses toiles dont quatre inédites (deux diptyques plus précisément, Le Lever du jour et La Tombée de la nuit, La Peur et La Paix) sont présentées au musée Paul-Valéry de Sète qui propose une exposition de ses « Œuvres récentes », c’est-à-dire une centaine de peintures, sculptures et dessins réalisés ces vingt dernières années.
La comédie humaine
Raysse a conservé le ton frondeur et espiègle, teinté d’ironie et de critique morale, de ses premières années aux côtés des Nouveaux Réalistes puis de sa virée dans le Pop Art, de sa prise de distance vis-à-vis du monde de l’art assumant, après ces aventures formelles, son choix du dessin, de la peinture et de la sculpture plus « classiques ». Si jamais vous rencontriez Raysse, c’est la première chose qu’il vous dirait : « Il faut comprendre que je suis poète avant tout. J’ai des émotions poétiques, qui se traduisent par une mise en images, un peu comme une photo qui se développe. Le problème, c’est de mettre des mots sur des choses que les mots ne peuvent pas traduire. La peinture m’intéresse parce que c’est un langage sans paroles. C’est pour ça que je suis devenu peintre, sinon je serais devenu écrivain. La peinture est un langage universel. »
La peinture, poésie immédiate en quelque sorte.
Ferveur obscure, Diriez-vous Poésie ?, Le Soir tombe sur nos amours, Souvienne vous de moy souvent, les objets sculptés Sentinelle au bout du ciel (bronze, bois et coquillage) ou Le Sanglier des mauvais rêves (bois, semoule, terre crue et papier) nous le rappellent à volonté. Sans parler de quelques-uns de ses sonnets affichés en quelques points stratégiques de l’exposition… Au centre des salles ou éparpillées ici et là entre deux toiles éclatantes de couleurs (Raysse n’a pas abandonné tout à fait la tonalité sixties, sa palette d’alors), il ne faut pas négliger les petites scènes sculptées, « objets en trois dimensions » plutôt que sculptures selon l’historien et critique d’art Philippe Dagen, des expressions concentrées du regard de l’artiste sur le monde, ironique, critique, parfois désespéré. C’est d’ailleurs sa statue Monus (2019) qui surprend le visiteur dans le grand hall du rez-de-chaussée du musée (alors que le reste de l’exposition temporaire se dévoile au premier étage), un grand bronze comme un gardien ou un guerrier mais à la tête en plâtre qui ridiculise plutôt cette image du Mal ou du Mâle… Ce modèle est repris en plus petit format un an plus tard sous un titre, « Il m’arrive de me sentir si seul », qui provoque alors plutôt la compassion que la crainte…
L’art Martial !
S’il poursuit dans sa veine des portraits, majoritairement de femmes, énigmatiques et suggestifs (Séraphine, La Femme du loup gris, Te voilà, cruelle…), Raysse se coltine de plus en plus dans ses grandes compositions (Now ou les deux diptyques déjà cités) au théâtre du monde en moraliste assumé, des allégories où s’entremêlent prémices de la fin du monde et frayeurs de la fin de la vie. Et même une allusion directe à l’actualité la plus dramatique (Bataclan Horreur Ignoble). L’artiste oscille entre Pauvre de nous et Courage Martial ! La comédie humaine selon Raysse ou l’art Martial !
Jean-Michel Masqué