M.C Escher. Une rare rétrospective

Avec ses constructions impossibles, ses escaliers sans fin et ses jeux d’optique, le dessinateur et graveur Maurits Cornelis Escher (1898-1972) jouait avec l’infiniment fini. Une exposition remet en scène cet artiste hollandais aussi inventif que facétieux. Un régal d’inventivité et de fantaisie.

Maurits Cornelis Escher, ou comme il préférait être nommé, M.C. Escher, est un artiste fascinant qui sut transformer la géométrie et les mathématiques en art, à travers des jeux d’optique, de savantes compositions de pavages, des métamorphoses et summum de sa créativité, des constructions impossibles, bien que plausibles au premier regard.

Haut-lieu du savoir-faire dans l’art de la gravure et de la frappe, la Monnaie de Paris expose plus d’une centaine d’œuvres de cet artiste hollandais, aussi inventif que facétieux. Découpé en huit sections, le parcours de cette exposition (qui fait le tour de l’Europe) s’ouvre sur ses débuts. Ceux d’un élève peu scolaire, qui s’inscrit à l’École d’Architecture et des Arts Décoratifs de Haarlem, se découvre une passion pour l’art graphique, avec une prédilection pour la gravure sur bois, capable d’y révéler une incroyable finesse des détails que l’on retrouvera dans toutes ses œuvres. À commencer par celle empreinte de symbolisme de sa série des six gravures illustrant les six Jours de la Création. Puis ses paysages d’Italie et du sud de la France où les perspectives insolites comme Notre Dame de la Garde vue depuis le dessous des piliers du pont transbordeur de Marseille (1936), n’excluent pas la poésie. Pour exemple, cette très japonisante lithographie d’une surface d’eau sur laquelle flottent les feuilles de trois arbres qui s’y réfléchissent, un poisson nageant en dessous Trois Monde (1955).

Viennent ensuite ses compositions de pavages inspirées par sa visite de l’Alhambra de Grenade et les décorations mauresques. À partir de là, Escher se consacre progressivement à la représentation de compositions abstraites, de fantaisie ou d’inspiration géométrico-mathématique. Une étude qui le mène bientôt aux Métamorphoses, un univers dans lequel différentes figures donnent lieu à des transformations de formes, passant sans transition de l’une à l’autre. Tel ce vol d’oiseaux devenant banc de poissons (Air et l’eau I, 1938).
L’intérêt croissant d’Escher pour les mathématiques et la géométrie l’amène à l’étude des sphères, des surfaces réfléchissantes (Main avec boule réfléchissante, 1935) et de l’effet Droste, cette visualisation graphique de la mise en abyme que l’artiste va appliquer dans son œuvre Exposition d’estampes (1956).

L’influence évidente des architectures complexes et mystérieuses d’arches et d’escaliers du peintre italien Piranèse (1720-1778) s’affirme dans les structures impossibles d’Escher. Chef-d’œuvre en la matière, La Cascade (1961), une construction en circuit fermé dans laquelle l’eau ne peut évidemment pas demeurer sur le plan vertical du canal puis chuter en cascade comme si elle venait du deuxième étage, puisqu’elle n’est pas montée. C’est totalement impraticable, illogique, mais l’illusion d’optique est d’une virtuosité stupéfiante.
Dans une autre composition, la position de chaque personnage est logique par rapport à elle-même et absurde par rapport à celle des autres qui semblent alors marcher sur les murs, sur les plafonds ou sous l’escalier (Relativité, 1953).
Et « tout ceci n’est rien comparé à ce que je vois dans ma tête », aimait à répéter Escher. Qui ajoutait volontiers un brin de fantaisie à sa fascination pour l’infini, comme dans son Ruban de Möbius II (1963) parcouru par des fourmis d’inspiration très BD. Voire de surréalisme à la Dali, que l’on perçoit dans cette mante religieuse surdimensionnée posée sur le sarcophage d’un évêque (Dream (Mantis Religiosa), 1935)

Longtemps Escher travailla sur commande pour gagner sa vie, produisant affiches et affichettes décoratives avant que la virtuosité et l’originalité de ses œuvres (448 estampes et plus de 2 000 dessins et esquisses au total) le rendent célèbre à partir des années 1950, admiré même dans les milieux scientifiques. Dès lors, il fut progressivement utilisé, copié ou réinterprété. Groupes pop des années 1960 utilisant ses gravures sur des pochettes de leurs albums. Mouvement hippie américain s’appropriant ses œuvres, les modifiant et les reproduisant sur des affiches et des T-shirts, dans une optique psychédélique. Stylistes s’inspirant de son univers. En 2004, c’est encore le peintre Chéri Samba qui utilise son ruban ininterrompu (comme celui utilisé par Escher pour former les visages du couple de Lien, (1956), pour son autoportrait, pinceau à la bouche, laissant s’échapper des gouttes de peinture de couleurs primaires (J’aime la couleur)

Rançon de cette Escher-mania, une foule des visiteurs se presse dans les petites salles de la Monnaie de Paris. S’amusant aussi devant les désormais incontournables installations immersives et interactives à la mode, donnant lieu à des selfies immédiatement instagrammables. Pour être objectif, ces modules permettent ici de mieux comprendre le travail d’Escher, et de se divertir. Après tout, Escher lui-aussi était joueur.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 15 novembre au 1er mars 2026
Monnaie de Paris
11, Quai de Conti 75006 Paris
Du mardi au dimanche, 10h-20h
Nocturne le mercredi jusqu’à 21h
Tarif plein : 17€
www.escher-expo.com/paris


 L’exposition est produite par Arthemisia et Fever, en collaboration avec la M.C. Escher Foundation et Maurits, et est placée sous la direction de Federico Giudiceandrea et de Jean-Hubert Martin, deux des plus grands spécialistes mondiaux de l’artiste.


Visuels :

 M.C. Escher, Le premier jour de la création, 1925. Gravure sur bois. Collection Maurits, Italie.

 M.C. Escher, Rêve (Mantis religiosa), 1935. Gravure sur bois. Collection Maurits, Italie.

 M.C. Escher, Marseille, 1936. Gravure en bois de bout, 305x240 mm
Collection Maurits, Italie.

 M.C. Escher, Main avec boule réfléchissante, 1935. Lithographie, 318x213 mm. Collection M.C. Escher Heritage, Pays-Bas.

 M.C. Escher, Air et eau I, 1938. Gravure sur bois, 435x439 mm. Collection M.C. Escher Heritage, Pays-Bas.

 M.C. Escher, Relativité, 1953. Lithographie, 277x292 mm. Collection M.C. Escher Heritage, Pays-Bas.

 M.C. Escher, Cascade, 1961. Lithographie, 380x300 mm. Collection M.C. Escher Heritage, Pays-Bas.

 M.C. Escher, Ruban de Möbius II, 1963. Gravure sur bois, 453x205 mm
Collection M.C. Escher Heritage, Pays-Bas.

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