Épousant la falaise coiffée de son donjon de pierre médiéval, le château de La Roche-Guyon domine la Seine dans son voyage de méandres et toise le village étalé de part et d’autre de sa masse blanche et lumineuse. Depuis le Moyen Âge, entre Normandie et Vexin, entre duché et royaume, le château a vécu au rythme de l’histoire de France jusqu’à la Seconde guerre mondiale lorsque Rommel y installe en février 1944 son quartier-général en tant que chef du groupe d’armées B de la Wehrmacht chargé de la défense des côtes de la Manche. C’est dans ce contexte du débarquement et de la libération de l’Europe que s’inscrit l’exposition qui se tient jusqu’à l’automne dans les salles et salons du château de La Roche-Guyon, là même où siégea l’état-major de Rommel avant et après le D-Day.
En effet, à partir de juin 1944, dans le sillage des troupes du débarquement se déploie une poignée d’hommes et de femmes de la section interalliée Monuments Fine Arts and Archives plus connus sous leur surnom de « Monuments Men ». Ils sont chargés de protéger et empêcher la destruction du patrimoine culturel européen mais aussi de rechercher et de restituer les œuvres d’art spoliées, disséminées et cachées par les Nazis sur le territoire du Reich. Cette épopée longtemps méconnue a été récemment documentée et dévoilée par le livre de Robert M. Edsel, Monuments Men. À la recherche du plus grand trésor nazi (2010 pour la traduction française, publiée dans la collection de poche Folio), et le film éponyme réalisé par George Clooney sorti en 2014.
Dès cette époque, le jeune Mattéo Grouard, aujourd’hui historien de 23 ans et commissaire de l’exposition, se passionne pour l’aventure de ces « officiers de l’art » dont il recherche et accumule les objets, documents et archives s’y référant. Sa collection personnelle, composée d’objets issus de l’histoire et du film, forme l’essentiel d’une exposition à la fois chronologique et humaine qui retrace le parcours individuel de quelques-uns de ces Monuments Men. À commencer par le lieutenant américain James J. Rorimer, conservateur en charge du département médiéval du Metropolitan Museum of Art de New York, qui passe par La Roche-Guyon fin septembre-début octobre 1944 avant de rencontrer à Paris Rose Valland, l’héroïque attachée de conservation du musée du Jeu de Paume dont les notes secrètes, prises tout au long de l’Occupation, allaient tant faire pour retrouver certaines des œuvres d’art parmi les plus célèbres… On la croise aussi au détour de l’exposition sous la forme d’un mannequin au même titre que les Monuments Men Rorimer, Stout, Hammond ou Keller… À travers cette exposition, l’épopée des Monuments Men est à la fois précisément racontée, depuis la constitution de la « section experte » jusqu’à la restitution des œuvres spoliées, et incarnée par les destins de ces soldats lancés sur « le front de l’art ». Une visite à ne pas manquer pour une escapade à proximité des hauts lieux d’une autre aventure artistique, celle de Monet entre Vétheuil et Giverny…
Jean-Michel Masqué