Son nom trop souvent occulté par celui de Fernand Léger dont elle fut la muse et l’épouse, Nadia Léger fut une peintre prolifique et attachante par ses engagements. Mais son œuvre, construite au contact des avant-gardes, n’a pu échapper à l’influence écrasante du maître.
Nadia Léger, née Khodossievitch (1904-1982) est une enfant de la Révolution russe, issue d’un milieu paysan, habitée par la passion de l’art et qui mangera de la vache enragée pour intégrer en 1920 les Ateliers nationaux supérieurs des Beaux-Arts de Smolensk. Cinq ans plus tard, son arrivée à Paris dans le bouillonnement artistique du quartier Montparnasse va bouleverser sa vie de femme et d’artiste. Son phare sera désormais Fernand Léger (1881-1955) dont elle devient l’élève, la muse puis plus tard l’épouse. Tous deux ont la même ambition : contribuer à l’élaboration d’un art social, se déployant aussi bien dans la peinture de chevalet que sur les façades des bâtiments.
Le poids Léger
À travers plus de 150 œuvres, la rétrospective « Nadia Léger. Une femme d’avant-garde » sous le commissariat d’Aymar et Jean du Chatenet (auteurs de Nadia Léger – l’histoire extraordinaire d’une femme de l’ombre) retrace le parcours largement méconnu de cette femme d’exception.
Oscillant entre abstraction et figuration, les premières œuvres de Nadia illustrent le parcours d’une artiste cherchant sa voie. Sa signature changera au gré des étapes de sa vie créatrice et de ses mariages avec Stanislas Grabowski (avec qui elle aura une fille, Wanda), Fernand Léger, puis Georges Bauquier). Elle utilisera même un temps le pseudonyme de Petrova (pour Petrovitch, le prénom de son père) comme le témoignage d’une identité plurielle ou d’une quête d’un nom qui ne serait que le sien, celui d’une artiste à part entière.
La mise en regard de portraits et natures mortes de Fernand et de Nadia met très vite en évidence, outre certaines thématiques communes (dont celle des travailleurs), la parenté stylistique née à l’évidence de l’influence du maître sur l’élève. Les formes tubulaires cernées de noir (quoique moins robotisées que chez Fernand Léger), la couleur posée en dehors des formes (Nature morte aux poissons (1949). Dans son atelier, Léger incite pourtant ses élèves (près de 350 inscrits entre 1924 et 1955) à s’émanciper de son influence. Bien qu’il brandisse l’étendard du réalisme, il admet toutes les tendances, école abstraite incluse. Des artistes aussi différents que Hans Hartung, Amédée Ozenfant, Aurélie Nemours, Nicolas de Staël, Marcelle Cahn ou George Bauquier y puiseront les enseignements pour leur propre liberté.
Militante et résistante
Nadia tentera dans les années 1960 une échappée vers le suprématisme inspiré par Malevitch, qui fut son professeur à Smolensk et en qui elle voit le nouveau prophète de l’art moderne, reprenant des formes géométriques qu’elle avait déjà expérimentées dans les années 1920. Pour l’heure, devenue membre du parti communiste en 1932, elle poursuit ses grandes compositions propagandistes et travaille comme professeur-assistante au sein de l’atelier Léger. Tandis que Fernand Léger s’exile à New York en 1940, elle s’engage dans la Résistante, mais ne cesse de peindre. Les œuvres de cette période révèlent sa combativité (Le Serment d’une résistante / La mort de Tania) et son attachante personnalité comme lorsqu’elle rend hommage à la Libération aux femmes de la résistance, telles Danielle Casanova et Berty Albrecht, dans de grands portraits empreints de douceur et d’admiration.
Dans les années 1950, elle reprend ses grands tableaux à la gloire des travailleurs, des sportifs et des personnalités du parti. À la mort de Staline, elle brossera même un portrait du dictateur soviétique en « petit père des peuples » travailleur et paternel aux côtés d’une jeune communiste (Staline et la pionnière, 1953). Des années 1940 aux années 1970, elle multipliera les portraits d’hommes et de femmes, politiques, écrivains, artistes, qui furent ses sources d’inspiration. De Tolstoï à Chagall en passant par Tchaïkovski, Maïakovski, Gagarine, Karl Marx ou Lénine, tous forment son panthéon personnel que l’on découvre à l’entrée de l’exposition. Certains de ces portraits seront traduits en mosaïques monumentales.
Gardienne du temple
À la mort de Fernand Léger en 1955, Nadia consacrera une grande partie de sa vie à valoriser l’œuvre du maître, organisant des expositions et créant un musée à son nom à Biot. Son œuvre à elle semble oubliée. Il fut et il reste difficile d’exister dans l’ombre de Fernand Léger. À fortiori quand on a passé sa vie à se chercher à travers le suprématisme, le constructivisme, le nouveau réalisme français, puis le suprématisme à nouveau. Elle en était consciente elle-même : « Léger, c’est un géant comme Picasso, Braque, Matisse. J’ai vécu près de lui… écrasée… » C’est peut-être aussi cette quête inlassable d’elle-même, ses coups de cœur, ses engagements militants et son insatiable désir de peinture, quelles que furent les influences et leur poids, qui nous la rende si attachante.
Catherine Rigollet