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Nicolas de Staël. Une montée vers l’absolu

Tous les vingt ans environ depuis son suicide, une rétrospective parisienne de Nicolas de Staël (1914-1955) vient nous ravir, histoire peut-être aussi de conquérir une nouvelle génération… À n’en pas douter, ce nouvel épisode du dévoilement de l’œuvre de Staël fera date pour plusieurs raisons. Les deux cents œuvres exposées (deux tiers de peintures pour un tiers de dessins) au Musée d’art moderne de la Ville de Paris associent des œuvres très connues (Agrigente, 1954) à d’autres quasi inconnues (Le Saladier ou Marine la nuit, 1954), un bon quart n’ayant même jamais été montrées en public. Au bout de trois ans de préparation, l’exposition a bénéficié du concours de soixante-cinq prêteurs privés et de quinze prêteurs institutionnels. La production graphique est ici valorisée, notamment de nombreux croquis préparatoires de la célèbre série sicilienne de l’artiste. Encres, fusains, crayons, stylos-feutres montrent que le travail sur papier a été un des piliers de la pratique de Staël dès l’origine.

Car, derrière l’homme que sa fin tragique a mythifié, les commissaires ont voulu donner à voir un peintre au travail, même un acharné du travail, « un peintre sans divertissement », écrit Pierre Wat, un des commissaires. « C’est donc un Nicolas de Staël au travail que nous avons voulu montrer, face au paysage ou dans le silence de l’atelier : un expérimentateur inlassable, pris dans la tension de sa quête », soulignent Charlotte Barat et Pierre Wat dans la préface du catalogue, aussi essentiel que l’exposition. En effet, outre les reproductions de toutes les œuvres montrées, ce catalogue renferme un passionnant entretien avec Anne de Staël, la fille aînée du peintre, et la publication des pages jusqu’alors inédites du Journal du poète et éditeur Pierre Lecuire (1922-2013) dans lesquelles il a consigné ses rencontres et discussions avec Staël entre 1945 et 1955, les deux hommes étant alors très proches.

Strictement chronologique, le parcours de l’exposition est d’une grande fluidité, l’accrochage d’une juste clarté, malgré onze escales thématiques qui viennent scander les différentes « périodes » de l’artiste qui bien souvent n’ont duré qu’une année ! Du « voyage d’un peintre » (1934-1947) à « Antibes » (1954-1955), nous suivons le fil d’une vie dans l’urgence, l’évolution d’un peintre qui ne s’encombre pas de la distinction abstraction-figuration pourtant très pesante à l’époque (« Les tendances non figuratives n’existent pas », écrit-il en 1948), son va-et-vient permanent entre certains anciens maîtres qu’il admire et des voyages incessants où il puise son inspiration de paysages, en passant par l’atelier où sommeillent quelques natures mortes… Les deux motifs principaux de son œuvre. Même son célèbre match de football de 1952, décliné dans une série de plusieurs toiles, n’est pas un trivial match de football mais un paysage de football (Parc des Princes, 1952).

Fou de littérature et de musique, il pouvait converser dans la même quinzaine avec Braque, Char et écouter un concert de Vladimir Horowitz… « Il appelait vers sa peinture toutes les valeurs de la vie. Sa peinture était vivante au point que, bien qu’elle ait des formes assez statiques, ce statique épousait tout le sens de la vie mobile qu’il avait », dit sa fille Anne, et Staël écrit : « Mon idéal est déterminé par mon individualité et l’individu que je suis est fait de toutes les impressions reçues du monde extérieur depuis et avant ma naissance. […] Les choses communiquent constamment avec l’artiste pendant qu’il peint, c’est tout ce que j’en sais. » Staël est en mouvement perpétuel dans sa vie autant qu’en renouvellement constant dans sa création. Au fil des salles, des « périodes » donc, on voit aussi la palette de Staël se transformer, passer de l’épaisseur à la fluidité, des tons sombres au tons éclatants. Les petits formats de 1952 (huiles sur carton peintes sur le motif) nous épatent par la science des nuances du peintre, capable en peu de moyens d’évoquer l’essence tellement différente d’un paysage du Nord, de Normandie, d’Île-de-France ou de Provence. S’il « invente son paysage », comme le suggère Wat, Staël invente aussi son harmonie de couleurs, des rencontres tonales jusqu’alors inconnues qu’il rend évidentes et éclatantes. Il faudrait le laisser parler : « On ne peint jamais ce qu’on voit ou croit voir, on peint à mille vibrations le coup reçu, à recevoir, semblable, différent » ou encore « L’espace pictural est un mur, mais tous les oiseaux du monde y volent librement - à toutes profondeurs. » Mais surtout posons-nous le temps qu’il faut devant ses œuvres ! Nicolas de Staël est une illumination, une montée vers la lumière, vers l’absolu.

Jean-Michel Masqué

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 15 septembre 2023 au 21 janvier 2024
Musée d’art moderne de Paris
11, avenue du Président Wilson - 75016
Mardi au dimanche de 10h à 18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 21h30 et le samedi jusqu’à 20h
Plein tarif : 15 €
Tél. 01 53 67 40 00
www.mam.paris.fr


Catalogue : 312 pages.
265 illustrations, éd. Paris Musées, 49 €


Visuels :

 Nicolas de Staël, Eau-de-vie, 1948. Huile sur toile, 100 x 81 cm
© ADAGP, Paris, 2023, Paris, 2023. Courtesy Galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris-Lisbonne / Photo Georges Poncet.

 Nicolas de Staël, Grande composition bleue, 1950-1951. Huile sur Isorel, 200 x 150 cm. Collection particulière © ADAGP, Paris, 2023, Paris, 2023. Courtesy Applicat-Prazan, Paris.

 Nicolas de Staël, Arbre rouge, 1953. Huile sur toile, 46 x 61 cm. Collection particulière © ADAGP, Paris, 2023 / Photo Christie’s, Paris, 2023 / Photo
Christie’s.

 Nicolas de Staël, Le Saladier, 1954. Huile sur toile, 54 x 65 cm. Collection particulière © ADAGP, Paris, 2023.

 Nicolas de Staël, Marseille, 1954. Huile sur toile, 80,5 x 60 cm © ADAGP, Paris, 2023. Courtesy Catherine & Nicolas Kairis / Courtesy Applicat-Prazan, Paris.

 Nicolas de Staël, Sicile, 1954. Huile sur toile, 114 x 146 cm. Musée de Grenoble © ADAGP, Paris, 2023, Paris, 2023© Ville de Grenoble / Musée de Grenoble / photo J.-L. Lacroix.

 Nicolas de Staël, Agrigente, 1954. Huile sur toile, 60 x 81 cm. Collection particulière © Photo Annik Wetter © ADAGP, Paris, 2023.

 Nicolas de Staël dans son atelier rue Gauguet, été 1954. Photo © Ministère de la Culture - Médiathèque du patrimoine et de la photographie, Dist. RMN-Grand Palais / Denise Colomb © RMN-Grand Palais