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Paul Valéry et les peintres. Une aventure intellectuelle et artistique

Il ne sera pas dit que 2020 n’aura été qu’une année vampirisée par un virus à couronne ! À Sète, en tout cas au musée Paul Valéry posté sur le flanc du mont Saint-Clair au-dessus du cimetière marin et de la mer, 2020 est aussi une année « valéryenne ». Il y a cent ans était édité « Le Cimetière marin », sans doute le texte poétique le plus connu de l’écrivain, et, cinquante ans plus tard, le musée municipal prenait le nom d’un des plus illustres sétois en s’installant dans ses nouveaux murs à l’endroit qu’il occupe désormais. Pour marquer cette année anniversaire, il fallait donc une exposition inédite sur une thématique rarement abordée. Ainsi est née dans l’esprit de Maïthé Vallès-Bled, directrice du musée et commissaire, « Paul Valéry et les peintres » qui occupe presque tout le premier étage du musée.

Une fois n’est pas coutume, nous commencerons notre visite par la dernière section de l’exposition, celle consacrée à « Valéry peintre », découverte d’une pratique méconnue chez l’écrivain qui s’y adonna cependant toute sa vie sans se prétendre peintre pour autant, comme il refusait par ailleurs la qualité de critique concernant ses écrits esthétiques. Sa fille, Agathe Rouart-Valéry, témoigne : « tout à coup, utilisant la place blanche d’un de ses cahiers, se servant de ce qu’il avait sous la main, enlevant très vite une aquarelle, un dessin, sans intentions, pour lui-même, pour se délasser ou pour répondre au besoin de s’exprimer ainsi de cette manière, sans surtout se prendre au sérieux. » Cependant les trente-quatre œuvres de Valéry, toutes propriétés du musée, dévoilées à l’occasion de cette exposition ne sont pas de simples dessins en marge de manuscrits, pas non plus des chefs-d’œuvre ignorés… Marines, scènes d’intérieur, portraits, paysages, natures mortes et saisissants autoportraits, Valéry reproduit ce qui l’entoure, privilégiant la gouache et l’aquarelle, le carton et le papier pour croquer à vif, pour aiguiser son regard, sa sensibilité au monde. Si la fascination des bateaux et du port de Sète dans sa jeunesse puis sa fréquentation du musée Fabre de Montpellier où il étudia ont très tôt attiré Valéry vers la peinture, pour l’admirer comme pour la pratiquer, sa rencontre capitale avec Mallarmé puis son mariage avec une nièce de Berthe Morisot, Jeannie Gobillard, l’ont fait entrer dans un cercle familial et amical voué à la peinture, ce cercle faisant l’objet des deux premières sections de l’exposition.

Au 40 rue de Villejust (aujourd’hui rue Paul-Valéry dans le 16e arrondissement de Paris), dans la maison que Berthe Morisot et son mari Eugène Manet, frère d’Édouard, ont fait construire, cohabitent les trois cousines Jeannie, peintre et pianiste mariée à Valéry, sa sœur Paule, peintre, et Julie Manet, épouse d’Ernest Rouart, peintre aussi et fils du collectionneur et peintre Henri Rouart. Morisot, « Tante Berthe, comme je l’entends si souvent nommer autour de moi… » écrit Valéry dans un catalogue d’exposition de 1926, et Manet sont les idoles naturelles de cette communauté. On y voit aussi un portrait de Berthe au chevalet peint par sa sœur Edma, où son regard de jeune femme de 24 ans fascine comme il a pu fasciner Manet, Mallarmé et Valéry après eux. Du cercle amical proche où Valéry fréquente Jacques-Émile Blanche, Maurice Denis, Georges d’Espagnat, Marie Laurencin, Claude Monet, Odilon Redon ou Auguste Renoir, on s’attardera sur Edgar Degas (1834-1917) avec lequel le jeune intellectuel entretient une grande amitié mêlée d’admiration. C’est le seul artiste contemporain auquel Valéry consacra de son propre chef une importante étude, Degas Danse Dessin (1936). Finalement peu de textes sur l’art dans l’abondante production de l’écrivain, même si plusieurs années avant, il avait écrit une Introduction à la méthode de Léonard de Vinci.

Par sa famille et ses amis, du fait aussi de sa notoriété grandissante (élu à l’Académie française en 1925), Valéry fréquente d’autres peintres comme Bonnard, Vuillard, Marquet, même Matisse et Picasso. De ces deux derniers, l’écrivain s’intéresse plus à leur processus créatif qu’il est touché par leur œuvre. Ces « peintres fréquentés » font l’objet de la troisième partie de l’exposition. On se rend compte alors qu’un fil rouge traverse les salles du musée : Valéry en portrait, dessins ou huiles réalisés par sa femme Jeannie mais aussi Blanche, d’Espagnat, Lou Albert-Lasard, Edmée de La Rochefoucauld, Rudolf Kundera, Sem ou Marie Elisabeth Wrede… Enfin une quatrième section propose les « autres regards de Valéry sur les peintres depuis sa jeunesse », notamment Tête de David de Cristofano Allori (1577-1621) et Sainte Agathe de Zurbarán (1598-1664), tous deux au musée Fabre et auxquels Valéry a consacré deux textes en 1891 au même titre que La Fileuse endormie de Courbet, toujours à Montpellier, a pu inspirer son poème La Fileuse.

Même s’il se voulait plus théoricien que critique d’art, la pensée et la vie de Valéry, ont été grandement influencées par l’art, la peinture en particulier. C’est pourquoi cette exposition est d’importance qui retrace une aventure intellectuelle et culturelle majeure du XXe siècle.

Jean-Michel Masqué

Archives expo en France

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 25 septembre 2020 au 10 janvier 2021
PROLONGATION JUSQU’AU 25 AVRIL
Musée Paul Valéry
148, rue François-Desnoyer, Sète (34)
Tous les jours de 9h30 à 19h (jusqu’au 31 octobre)
Tous les jours, sauf lundi, de 10h à 18h (du 1er novembre au 31 mars)
Plein tarif : 9,90 €
04 99 04 76 16
www.museepaulvalery-sete.fr


Visuels : Paul Valéry, Mont Saint Clair (s.d), aquarelle. Musée Paul Valéry.
Paul Valéry, Autoportrait. Huile sur contreplaqué, 33 x 27 cm. Musée Paul Valéry © Eric Teissèdre.
Berthe Morisot, Sur le lac, 1884. Huile sur toile, 65 x 54 cm. Collection particulière.
Gustave Courbet, La Fileuse endormie, 1853. Huile sur toile, 90,5 x 117 cm. Musée Fabre, Montpellier Méditerranée © cliché Frédéric Jaulmes.