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Photographie : arme de classe. La photographie sociale et documentaire en France, 1928-1936

À la fin des années 1920, le regard photographique posé sur les pauvres, les chômeurs, les clochards, les petits métiers, les terrains vagues en périphérie de la ville quitte le registre de la scène de genre et du pittoresque, tel que l’a développé Eugène Atget pour témoigner désormais d’une empathie sociale. La rue est le miroir des réalités et des injustices qu’il faut désormais dénoncer et la lutte contre la paupérisation des classes populaires fait partie des engagements de la gauche. Les illustrateurs, graphistes et photographes vont jouer un rôle de plus en plus important. Le Parti communiste, via ses médias, publie des reportages d’amateurs ou de professionnels – comme Willy Ronis – dénonçant la persistance intolérable des taudis. Le rôle des photographes devient essentiel pour témoigner et dénoncer la misère des chiffonniers, prostituées, zoniers, trimardeurs, chômeurs, clochards des quais de Seine se ruant à la nuit tombée devant les portes des soupes populaires (Germaine Krull, Sans titre [la soupe populaire], vers 1930). La section architecture de l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires (AEAR), à laquelle adhère Charlotte Perriand, n’est pas en reste, cherchant des propositions concrètes pour faire face à l’insalubrité des logements.

« La Photographie qui accuse », le titre de la conférence de René Crevel, prononcée le 11 juin 1935 à la Galerie de la Pléiade, vise à démontrer l’importance du reportage comme outil au service des classes populaires pour documenter notamment les grèves, les meetings, mais aussi la répression et les violences policières (René Jacques, Le clochard entouré de deux gendarmes, vers 1932). Des images contrebalancées par un corpus de photographies illustrant un soit-disant « Eden ouvrier », constitué d’activités sportives et de loisirs du dimanche dans les guinguettes en bord de Marne et les piscines (Jean Moral, La piscine Molitor, vers 1932). La détente après le labeur.

La qualité des photographies s’améliore, leur impact militant augmente grâce aux légendes, commentaires, photo-montages et images symboles. Comme le poing levé qui apparaît en France à partir de 1934, en solidarité au Parti communiste d’Allemagne vaincu par le nazisme. Cette exposition révèle l’importance de la production d’images militantes réalisées par des amateurs anonymes et des grands noms de la photographie (Willy Ronis, Eli Lotar, Jacques-André Boiffard, René Jacques, Nora Dumas, Henri Cartier-Bresson, Germaine Krull, Gisèle Freund, Lisette Model, Brassaï, etc.) qui ont accompagné la paupérisation du monde ouvrier, les revendications sociales, les conflits sociaux, les grandes grèves, mais aussi l’antimilitarisme, la lutte contre les colonies. Ce nouveau langage à la croisée du discours critique, du geste militant et de l’esthétique du documentaire a contribué à l’émergence du photoreportage moderne et à la photographie humaniste de l’Après-Guerre.

Une exposition riche d’une centaine d’œuvres et de documents qui tout en racontant l’histoire de la photographie française dans l’entre-deux guerres, offre un nouvel éclairage sur la photographie engagée qui a émergée à cette époque, trop souvent réduite aux événements du Front Populaire et à la Guerre d’Espagne.

C.R

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 7 novembre 2018 au 4 février 2019
Centre Pompidou
Tous les jours, sauf mardi
De 11h à 21h
Nocturne le jeudi jusqu’à 23h
Accès libre
www.centrepompidou.fr

 

Visuels : André Kertész, Sur les quais, près de Saint-Michel, 1926. Epreuve gélatino-argentique. Centre Pompidou, Paris © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Service de la documentation photographique du MNAM/Dist. RMN-GP © RMN- Grand Palais.
Willy Ronis, Prise de parole aux usines Citroën – Javel, 1938. Épreuve gélatino-argentique. Centre Pompidou, Paris © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Bertrand. Prévost/Dist. RMN-GP © RMN - Gestion droit d’auteur Willy Ronis.