Pierre-Luc Poujol. Arborescences : une immersion dans l’arbre

Après un long détour par le monde de la publicité, où il a néanmoins continué à alimenter sa flamme créatrice, Pierre-Luc Poujol (né en 1963) est devenu entièrement artiste il y a à peine vingt ans. Le brillant étudiant des Arts appliqués de Bordeaux du milieu des années quatre-vingt est revenu à sa passion originelle, rencontrant assez vite une belle renommée. La nature, l’arbre en particulier, est rapidement devenue son terrain privilégié d’exploration et d’inspiration. Cela peut s’expliquer en partie par ses racines cévenoles, son admiration pour un grand-père paysan, ce qui avait d’ailleurs poussé le jeune Pierre-Luc vers un Bac agricole, avant ses études supérieures artistiques…

Les soixante-dix œuvres (peintures, dessins, sculptures) qui composent « Arborescences », l’exposition que le musée Paul-Valéry consacre à Poujol ce printemps, font en quelque sorte la rétrospective de sa production des dernières années ; l’écrasante majorité des œuvres des dix séries représentées ayant été réalisée depuis 2020. « Se dessinent les toutes dernières étapes d’un parcours artistique, où les techniques ⎼ acrylique, charbon ⎼ et les modalités de création ⎼ dripping (*), dessin, installations et volumes ⎼ se diversifient, sans jamais épuiser leur figure centrale [l’arbre], toujours envisagée comme motif en devenir », précise Stéphane Tarroux, commissaire général de l’exposition et directeur du musée, dans son introduction au catalogue (éditions Loubatières, 29 €).

Sans que cela le classe ou le limite, Poujol est proche des peintres de l’abstraction lyrique ou de l’expressionnisme abstrait. Il déclarait dans une interview récente (« l’Art…vues », décembre 2022) : « Ma peinture est assez physique, gestuelle. L’autre point important, c’est que je suis en immersion dans mon travail. Pour cette raison, je privilégie les grands formats et je peins principalement au sol en tournant autour de mes toiles. »

Il souscrirait sans doute à ces mots de Van Gogh : « Je vois partout dans la nature, par exemple dans les arbres, la capacité d’expression et, pour ainsi dire, une âme. » (Lettre à son frère, 1889). Ou encore à ceux de Max Ernst (1934) : « Qu’est-ce qu’une forêt ? Un insecte merveilleux. Une planche à dessins. »
Coïncidence des programmations, on peut voir ces temps-ci au Petit Palais l’exposition de Théodore Rousseau, La Voix de la forêt.
Poujol s’inscrit dans une lignée qui remonte à longtemps. Ébloui par sa visite des jardins de la maison Monet, il en a conçu en 2020 une exposition « Voyage à Giverny ». Ce qui l’a sans doute aussi conforté à poursuivre son immersion dans le milieu naturel, à prendre l’arbre à bras-le-corps, dans sa totalité matérielle et symbolique, d’en faire au fil de son élan créatif tour à tour, parfois même tout à la fois, un motif, un outil (branchage au lieu de pinceau), un matériau (cendres, charbon de bois) et un support. Pierre-Luc Poujol travaille autant avec la nature que sur la nature.

Au pied de l’escalier qui mène à l’exposition, un arbre (N° 630 de la série Arborescences) de près de six mètres nous contemple, fait de cinq toiles assemblées où l’acrylique se mêle aux toiles, branches d’arbres, aiguilles de pins et cendres végétales. La première salle se présente comme la synthèse des dernières productions de Poujol. La toile n° 637 (série « Empreintes »), en écho aux toiles de la série « Écorces », structurée à la manière d’une grille et associant acrylique et cendres végétales semble un sas de lumière vers l’œuvre de l’artiste qui dit alors vouloir « rester sur la crête entre l’abstraction et la figuration ». On y découvre aussi les formes organiques (n° 513 de la série « L’Appel de la forêt ») que révèle de plus en plus souvent Poujol au cœur du végétal par le jeu de la lumière et des couleurs. Dans la salle suivante, on pénètre dans l’installation La forêt (série « Empreintes »), où une forêt de kakémonos comme des troncs peints sur bâches, invite le public à se plonger dans l’univers de l’artiste, un univers de calme et de démesure, où s’affrontent la petitesse de la condition humaine et son élévation spirituelle.

Naviguant entre l’ordre et le chaos, le parcours se poursuit parmi les empreintes très ou très peu colorées jusqu’à La Chute (n° 626 de la série « Empreintes »), cette empreinte d’un arbre calciné poussé sur la toile où il a laissé sa marque jusqu’à briser les traverses de bois à l’arrière du châssis ! Ou encore Déforestation (n° 568 de la série « Empreintes »), une sorte de tableau « code barre » souligné par le chiffre de 42 000 000 qui serait celui du nombre d’arbres abattus par jour. Quelle que soit l’exactitude de ce chiffre, il nous interpelle sur le danger auquel l’arbre, et au-delà toute la biodiversité, est confronté. Car Poujol, devenu il y a peu ambassadeur de l’ONG Cœur de Forêt, s’engage encore plus pour ces arbres qui lui sont si chers. Il dit même vouloir « réparer ce qui a été cassé, que l’art répare notre lien avec la nature. » D’où sa série de sculptures « Kintsugi » qui « répare » le bois brûlé avec des feuilles d’or comme le fait la technique ancestrale japonaise qui consiste à réparer de la vaisselle cassée avec des filaments d’or, l’objet réparé devenant plus beau que l’original…

Puis rendez-vous est pris dans une petite salle au bout de l’exposition avec la série « Arbographies ». Comme un passage de l’extérieur vers l’intérieur, du monde au corps, le vivant dans sa totalité. Deux toiles (n° 622 et n° 635) sont placées sur des négatoscopes, où l’on lit d’ordinaire les radiographies, les empreintes de branches donnant à voir par analogie un os fracturé et un poumon. Un casque audio permet de renforcer un peu plus la similitude entre ces tableaux et la santé du vivant où l’on entend des sons de fracture et de souffle. Le parcours s’achève par la série « Looking up », notamment la très grande toile n° 553 fixée au plafond pour lever la tête vers la canopée, la lumière, une infinité d’étoiles végétales colorées…

Jean-Michel Masqué

(*) le dripping est la technique rendue familière par Jackson Pollock qui consiste à laisser couler ou goutter de la peinture, voire de la projeter, sur des toiles ou autres surfaces horizontales afin d’obtenir des superpositions de plusieurs couleurs. On a parlé à ce sujet d’action painting ou « peinture gestuelle ».

Archives expo en France

Infos pratiques

Du 23 mars au 26 mai 2024
Musée Paul Valéry
148, rue François-Desnoyer - Sète (Hérault)
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
Plein tarif : 6,20 €
Tél. 04 99 04 76 16
www.museepaulvalery-sete.fr


Visuels :
 Pierre-Luc Poujol, N° 513. Série L’Appel de la forêt, 2022. Technique mixte, acrylique sur toile, 200 × 200 cm © Bruno Pantel.

 Pierre-Luc Poujol, N° 528. Série L’Appel de la forêt, 2022. Technique mixte, acrylique sur toile, 200 x 150 cm © Bruno Pantel.

 Pierre-Luc Poujol, N° 551. Série Looking up, 2022. Technique mixte, acrylique sur toile, branches d’arbres, aiguilles de pins, 150 x 150 cm © Bruno Pantel.

 Pierre-Luc Poujol, N° 596. Série Empreintes, 2023. Technique mixte, acrylique sur bâche, 200 x 500 cm © Bruno Pantel.

 Pierre-Luc Poujol, N° 628. Série Carbone, 2023. Charbons de bois sur papier, 200 x 600 cm © Bruno Pantel.

 Pierre-Luc Poujol, N° 635. Série Arbographies, 2023. Technique mixte, acrylique sur toile, empreintes de branches, 195 × 130 cm. Collection particulière © Bruno Pantel.