Pierre et Gilles. Plongée onirique dans leur univers marin

Pierre et Gilles, célèbre duo d’artistes qui développe depuis plus de quarante ans un art du portrait hautement sophistiqué, prouvent une fois encore à Deauville que leur créativité à la fois poétique et subversive est toujours aussi vivante que leur amour pour la mer. En 70 œuvres, dans ce beau musée-médiathèque des Franciscaines (ouvert en mai 2021), on retrouve leur art baroque, flamboyant et poétique des premiers autoportraits en marins, jusqu’aux quatre œuvres inédites créées spécialement pour l’exposition. Tel ce Docker noir au regard lointain, cigarette au coin des lèvres, allongé sur des sacs de café, éclairé d’une lumière crue irréelle tandis que derrière lui, le port du Havre est noyé dans une brume spectrale. Mais ne nous y trompons pas, si les couleurs vives, la profusion de cœurs, perles, étoiles, bougies, billes multicolores, bouches écarlates en papier, paillettes, larmes et fleurs qui encadrent les figures de marins et de sirènes peuvent donner l’illusion d’un monde enchanté et érotique, ce décorum cache aussi une réflexion plus sombre sur un monde marin et portuaire rongé par la pollution et les illusions perdues.

Depuis leur rencontre en 1976 -qui fut aussi le début de leur prolifique collaboration artistique-, chaque portrait est pensé ensemble. Puis Pierre (né Pierre Commoy en 1950) prend la photo qui est tirée sur toile et Gilles (né Gilles Blanchard en 1953 au Havre -ville qui leur a offert une belle carte blanche en 2017 au MuMa) la repeint au pinceau ou à l’aérographe. D’un commun accord, ils y ajoutent autour un véritable décorum théâtral, ultra léché, chargé d’éléments décoratifs puisés et savamment mis en scène dans leur atelier du Pré-Saint-Gervais. Des cadres constitutifs et inséparables de l’œuvre photographiée et peinte.

Si le couple est l’une des matières premières de leur œuvre qui compte des dizaines d’autoportraits, le duo continue de faire poser des proches et surtout des célébrités. Ce fut Jean-Paul Gaultier en marin, Isabelle Huppert en Ophélie, Nina Hagen en Amphitrite, etc. Et récemment la mannequin Mica Argañaraz en Philomène (sainte patronne des bateliers) ou encore Tahar Rahim en astronaute un filet de pêche à la main, immergé dans un monde ou mer et espace se confondent, tous deux confrontés au dérèglement climatique et à la pollution (La planète rouge, 2022).

Les images de Pierre et Gilles sont nourries d’histoire de l’art et de culture populaire, de références à la mythologie, aux religions (une attirance particulière pour le corps percé de flèches de saint Sébastien), aux contes de fées, à l’amour bien sûr, fondatrice du couple et de son œuvre, ainsi qu’à l’actualité du monde contemporain qui le touche tout particulièrement (sida, homophobie). Qu’on aime ou pas, elles ne peuvent laisser aucun spectateur indifférent tant elles sont chargées de beauté, de rêve, de glamour, mais aussi de réflexions profondes et sensibles sur notre monde, marin et bien au-delà.

Catherine Rigollet

Archives expo en France

Infos pratiques

Du 24 mai 2025 au 4 janvier 2026
Les Franciscaines
145B avenue de la République
Deauville 14800
Du mardi au dimanche, 10h30 – 18h30
Pass expositions : 13€ (plein tarif)
Tél. 02 61 52 29 20
www.lesfranciscanes.fr


 À voir aussi aux Franciscaines : « Bleu profond. L’Océan révélé ».
Une exposition (grand public) conçue par Jean de Loisy qui retrace cette exaltation qui, depuis le XVIIIe siècle, saisit scientifiques et artistes (de Jules Verne à Cousteau et de Gustave Moreau et Victor Hugo aux artistes contemporains) face aux révélations sous-marines. Du 28 juin au 21 septembre 2025.


Visuels :

 Pierre et Gilles, Dans le port du Havre (Frédéric Lenfant), 1998. Collection Noirmontart Production.

 Pierre et Gilles, Ophélie 2000 (Isabelle Huppert), 2012. Photographie imprimée par jet d’encre sur toile et peinte à la main, 78 x 112 cm © Pierre et Gilles - Courtesy TEMPLON, Paris, Brussels, New York.

 Vue de l’exposition « Pierre et Gilles. Mondes marins », Les Franciscaines, Deauville, 2025.

 Pierre et Gilles, Les Gopniks français (autoportrait), 2021. Courtesy TEMPLON, Paris, Brussels, New York.

 Pierre et Gilles, La planète rouge (Tahar Rahim), 2022. Photographie imprimée par jet d’encre sur toile et peinte à la main, 162 x 114 cm. © Pierre et Gilles — Courtesy TEMPLON, Paris, Brussels, New York.

 Pierre et Gilles, Le Docker noir (Steven Biaffry), 2025. Photographie imprimée par jet d’encre sur toile et peinte à la main, 143 x 113 cm. Collection des artistes. Œuvre créée pour l’exposition des Franciscaines.

 Pierre et Gilles, Philomène (Mica Argañaraz), 2021. Photographie imprimée par jet d’encre sur toile et peinte à la main, 147 x 106 cm © Pierre et Gilles. Don de l’Association des Amis des Franciscaines, Ville de Deauville.

Photos L’Agora des Arts.