Dans le vieil Arles, dominant la courbe du grand Rhône, le musée Réattu a endossé l’habit de pierre de l’ancien Grand Prieuré de l’Ordre de Malte bâti à la fin du XVe siècle. Un lieu ensorcelant dont les nombreuses salles (2000 m2 sur trois niveaux) abritent la collection permanente du musée et ses expositions temporaires, le musée Réattu ayant été le premier musée des beaux-arts français à collectionner dès 1965 la photographie sous l’influence de Lucien Clergue. Les deux expositions de cet été sont d’ailleurs inscrites au Programme associé des Rencontres d’Arles dont on sait ce que la photographie leur doit pour sa reconnaissance comme art majeur.
Avec la collection Bachelot, le musée accueille pour la première fois de son histoire une collection privée. Derrière les murs épais du palais tout d’ombre et de fraîcheur, des portraits de cette collection Florence & Damien Bachelot (plus d’un dixième de leur collection est exposé qui compte un millier de photos en tout) viennent s’insérer judicieusement parmi les œuvres de la collection permanente selon le principe d’une « greffe » qui génère des correspondances inédites, des dialogues subtils, de nouvelles allégories. Il faut ici saluer les deux commissaires, Françoise Docquiert et Andy Neyrotti, qui ont réussi un exercice de rapprochement qui pouvait s’avérer hasardeux, voire « casse-gueule ». Les deux collectionneurs, qui professent l’obsession de la qualité des tirages, sont aussi pour beaucoup dans cet accrochage. Ils s’expliquent : « Notre collection est une collection dont l’essence est l’humain […] Les portraits sont un instantané de la société […] D’autre part, le portrait touche à l’essence même du mystère profond de la photo. » Ainsi, dès le seuil de l’exposition, le portrait Jeune garçon de Paul Strand dialogue sur la jeunesse à travers les siècles avec Autoportrait de Jacques Réattu (1760-1833), les danseurs d’Ann Ray (née en 1969 / son portrait Mystères fait l’affiche et la couverture du catalogue de l’exposition), Nicolas Le Riche ou Stéphane Bullion, font écho aux figures ou compositions de Réattu, les deux nus de Saul Leiter (un des photographes préférés des Bachelot) jouent l’équivoque et le voyeurisme avec Bethsabée à sa toilette de Joseph-Léon de Lestang-Parade (1810-1887), la série D’argile (clichés de petites sculpture en glaise modelées pour un film du réalisateur cambodgien Rithy Panh) de Laurence Leblanc frappe dans la salle des sculptures au milieu de laquelle repose en majesté la fascinante Odalisque de Zadkine près d’un Christ du XIVe siècle en bois polychrome. On découvre aussi le puissant portrait de Joseph Kessel d’Irving Penn, les troublants masques argileux de Roger Catherineau, Picasso par Brian Brake en dieu de corrida entouré de son Olympe… Finalement, l’intrusion des œuvres de la collection Bachelot sublime la collection permanente du musée en venant bousculer son déroulement routinier, faisant jaillir des étincelles sensibles et de nouvelles perspectives.
D’autres portraits de la collection Bachelot, et non des moindres car la plupart des grands photographes notamment américains sont là, occupent seuls les salles d’exposition temporaire selon les thématiques suivantes : icônes de la photographie, portraits d’artistes, histoire(s) de portraits, le portrait entre photographie et peinture. Il serait fastidieux de vous les décrire et injuste de n’en détacher que quelques-uns. Prévoyez plutôt un passage à Arles où septembre vaut le détour !
De surcroît, dans les mêmes lieux, l’exposition rétrospective consacrée au photographe français méconnu Jacques Léonard (1909-1994) mérite aussi toute l’attention pour son art qui associe reportage et esthétique aussi bien sur des épisodes oubliés de l’histoire de la Seconde guerre que sur la communauté gitane de Barcelone qu’il a bien connue.
Jean-Michel Masqué
