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Signac. Néo-impressionnisme au fil de l’eau

Au temps d’harmonie, qui a inspiré l’exposition « Les harmonies colorées », est le titre donné par Paul Signac à une grande composition de 1895 dont le thème est celui d’un âge d’or du XXe siècle. Cette grande toile de quatre mètres sur trois, qui représente un paysage tropézien idéalisé et dans lequel le peintre s’est représenté en train de cueillir un fruit, fut au cœur d’un litige. Anarchiste et homme de gauche, Signac avait souhaité la donner à la Maison du peuple de Bruxelles, sa veuve l’offrit finalement en 1938 à la municipalité de Montreuil conquise par le parti communiste. Revendiqué par l’arrière-petite-fille de l’artiste, Charlotte Liébert-Hellman dans le but d’en faire une dation au Musée d’Orsay, le tableau est finalement resté à Montreuil, restauré et exposé en haut de l’escalier d’honneur.

L’exposition dont le commissariat est assuré par Marina Ferretti et Pierre Curie rassemble près de soixante-dix œuvres issues d’un ensemble d’œuvres néo-impressionnistes conservé en mains privées. Vous ne verrez donc pas les Signac conservés dans les musées, ni le fameux Au temps d’harmonie de Montreuil. Mais ce parcours qui retrace la vie de Signac et son travail de libération de la couleur, évoquant également l’histoire du néo-impressionnisme permet de découvrir une vingtaine de toiles de l’artiste (dont certaines avaient été exposées en 2016 à la Fondation de l’Hermitage), complétée d’une vingtaine d’œuvres de Georges Seurat, Camille Pissarro, Maximilien Luce, Théo Van Rysselberghe, Henri-Edmond Cross, Louis Hayet, Achille Laugé, Georges Lacombe et Georges Lemmen.

Né en 1863 à Paris dans une famille de commerçants prospères, Paul Signac n’a pas de formation artistique traditionnelle, mais il fréquente les galeries de son quartier de Montmartre et les expositions, découvre l’œuvre de Monet, ce qui le convainc de devenir peintre. Sa rencontre avec Seurat, qui fait sensation à la dernière exposition impressionniste avec Un dimanche à la Grande Jatte (1884) va orienter le style du jeune autodidacte. De l’impressionnisme de ses débuts, Signac a glissé vers une nouvelle technique de division des tons, à l’instar d’un groupe de peintres réunissant autour de Seurat, Dubois-Pillet, Charles Angrand, Henri Edmond Cross, Lucien Pissarro et Adolphe Albert. Ses toiles se singularisent par des compositions rigoureuses, des couleurs éclatantes. L’exploration de la couleur va même devenir l’enjeu de son œuvre.
Mais ce « néo-impressionniste », ainsi nommé par le critique Félix Fénéon en septembre 1886, ne se prête plus guère à une pratique en plein air, plusieurs étapes étant nécessaires pour éviter le mélange des pigments. L’artiste va donc multiplier les études d’après nature avant d’entreprendre la composition finale à l’atelier. Vont naître des toiles à la touche fragmentée de couleurs pures inspirées de ses promenades sur les bords de Seine (Les Andelys. Soleil couchant, 1886), et de ses voyages. Dans une polychromie souvent audacieuse, l’œuvre de Signac s’écrit principalement au fil de l’eau, en Bretagne (Concarneau (étude), 1891), puis dans le Sud, notamment à St Tropez, attiré par le soleil et la mer (Soleil couchant sur la ville ou Saint-Tropez, la ville, 1892 / Saint-Tropez. Fontaine des Lices, 1895 / Sainte-Anne (Saint-Tropez), 1905). Après la mort prématurée de Seurat en 1891, Signac est l’un des rares à continuer à défendre la théorie de la division des tons. Pissarro a déjà renoncé.

Les années de guerre sont particulièrement douloureuses pour Signac le pacifiste qui ne peint presque pas. Il se remet à voyager au volant de son automobile dans les années 20, consignant ses découvertes dans des aquarelles peintes sur le motif qui deviennent vite des œuvres à part entière. En 1928, il fait part à son ami Gaston Lévy, collectionneur, mécène et homme d’affaires, cofondateur de la chaîne de magasins Monoprix, de son envie de réaliser une série d’aquarelles des ports de France. Signac a découvert l’intérêt et la rapidité d’exécution de l’aquarelle depuis son séjour à Saint-Tropez. Il va mettre à profit ce moyen d’expression picturale au service de sa passion pour la mer, pour les voiliers (Signac en possèdera 18 et remporta de nombreuses régates) et pour les ports, ces lieux de liberté où les bateaux entrent et sortent. Projet de maturité (Signac à 65 ans et n’a plus rien à prouver), cet inventaire des ports va conduire l’artiste à en visiter une centaine, dans un tour de France qui durera trois ans, du 25 mars 1929 à Cette (à cette époque Sète s’orthographie encore Cette) jusqu’en avril 1931 à Menton, passant d’une mer à l’autre sans suivre le littoral, au gré de ses pérégrinations. À chaque fois, il peindra deux aquarelles afin de permettre à Lévy d’en choisir une pour sa collection. Cette suite de vues, sciemment organisée, est aussi pensée sur le modèle des séries de tableaux commandés par Louis XV à Joseph Vernet (1714-1789). Dans un style très enlevé, coloré et graphique, Signac s’est visiblement beaucoup amusé à peindre ces aquarelles, rehaussant toutes ses œuvres de vigoureux traits de crayon noir pour styliser des vagues, des pierres sur les brise-lames, la pluie tombant en hallebardes ou des nuages aux formes animalières.

Un beau moment d’évasion dans l’univers poétique de Signac.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 19 mai au 26 juillet 2021
Musée Jacquemart-André Propriété de l’Institut de France
158, boulevard Haussmann - 75008 Paris
Ouvert tous les jours de 10h à 18h
Nocturnes tous les lundis jusqu’à 20h30 en période d’exposition
Tél. + 33 (0) 1 45 62 11 59
www.musee-jacquemart-andre.com


 On lira avec profit le petit ouvrage « Signac au temps d’harmonie », par Anne Distel. Éditions Gallimard - Collection Découvertes (16,10€).


Visuels : Paul Signac (1863 – 1935), Les Andelys. Soleil couchant, 1886, Huile sur toile, 32,8 x 46,1 cm, Huile sur toile, Collection particulière.
Paul Signac, Soleil couchant sur la ville ou Saint-Tropez, la ville, 1892, Huile sur panneau, 15,2 x 25 cm, Collection particulière.
Paul Signac, Juan-les-Pins. Soir (première version),1914, Huile sur toile, 73,5 x 92,5 cm, Collection particulière.
Paul Signac, Nice, 2 mai 1931, Aquarelle, gouache et pierre noire sur papier vergé, 27,3 x 43,2 cm, Collection Particulière.