Le centenaire de la naissance de l’artiste espagnol d’expression catalane Antoni Tàpies (1923-2012), déjà célébré dans une rétrospective à Bozar-Bruxelles depuis la rentrée et dans nos colonnes passe aussi par Paris avec une exposition thématique à la galerie Lelong & Co. et intitulée « Les Armes d’Éros ». La galerie Lelong & Co. a exposé Tàpies de 1967 à sa mort en 2012 et continue à entretenir des liens étroits avec l’entourage de l’artiste et la Fundació Antoni Tàpies, Fondation qui propose jusqu’en décembre 2024 un programme de manifestations autour de l’artiste. Ce lien étroit explique que la grande majorité des douze œuvres réunies ici, qui appartiennent aux deux dernières décennies du travail de Tàpies, n’aient jamais été montrées à un public parisien. Par ailleurs, la librairie de la galerie propose aussi durant cette même période une sélection d’estampes de l’artiste en dehors de la thématique de l’exposition.
Le titre de l’exposition se démarque de celui du dernier livre de Georges Bataille Les Larmes d’Éros (1961), une histoire de l’art entre Éros et Thanatos : « Le sens de ce livre est, en un premier pas, d’ouvrir la conscience à l’identité de la « petite mort » et d’une mort définitive. De la volupté, du délire à l’horreur sans limites », écrit Bataille dans son avant-propos. Les œuvres sélectionnées par la galerie Lelong montrent comment Tapiès, éminent représentant de l’art informel et du matiérisme, a intégré le corps sexué à sa matière picturale, le sexe étant matière aussi, concrétisation de l’érotisme, aboutissement d’un désir, voire mise en scène d’un fantasme. Littéralement traduits du catalan, les titres des toiles sont plus « matériels » que « sexuels » : Symétrique avec deux pieds, Matelas sur losange, Grand triangle, Collage de papier de verre, Vernis miroir, Terre et bois en diagonale…
Pas d’allusion mais de l’explicite, parfois proche du graffiti (« Symétrique… », « Collage… », « Terre… ») pour dire l’excitation de l’interdit et l’exaltation de la jouissance. Ces formes et assemblages de corps se mêlent aux matériaux qui font le tableau. Tàpies joue même avec sa propre symbolique, sa signature en T qui devient croix mais aussi sexe masculin (Boca sobre tors ou Bouche sur torse, Quatre creus ou Quatre croix). L’érotisme comme une évidence familière de l’humanité où les parties sexuées du corps, les « armes d’Éros », sont envisagés comme des éléments du quotidien. Une façon originale et inédite de voir Tàpies.
Jean-Michel Masqué