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Van Gogh à Auvers. Les derniers mois

Après un an d’internement à l’asile de Saint-Paul-de-Mausole, près de Saint-Rémy-de-Provence, Vincent van Gogh (1853-1890) est déclaré « guéri » (même si vers le 24 décembre précédent, il a tenté de se suicider par empoisonnement en avalant les couleurs qu’il utilisait !) et revient le 17 mai 1890 à Paris. Il y retrouve son frère Theo et fait connaissance avec sa belle-sœur Johanna van Gogh-Bonger et son neveu. Trois jours après, Vincent arrive à Auvers-sur-Oise et se rend directement chez le Dr Paul Gachet, un spécialiste de « la mélancolie », peintre amateur et ami des artistes que lui a recommandé son frère, lui-même conseillé par Pissarro, et s’installe au café de la Mairie d’Arthur Ravoux. Le décor des soixante-dix derniers jours de la vie de Vincent est planté.

C’est dans ce décor et ce laps de temps (20 mai au 29 juillet 1890) que s’inscrit l’exposition « Van Gogh à Auvers-sur-Oise. Les derniers mois » présentée au musée d’Orsay. Elle concentre la « puissance de frappe » du partenariat entre le musée parisien et le musée Van Gogh d’Amsterdam, deux des institutions parmi les plus riches en œuvres du maître néerlandais qui ont également emprunté d’autres œuvres dans des collections publiques et particulières. Elle a aussi bénéficié des recherches et études récentes consacrées à la vie comme à l’œuvre du peintre au cours de cette période cruciale, assez délaissée jusqu’alors par la muséologie, même si depuis longtemps la légende et la fiction s’en sont emparées, oscillant entre faux mystère et vrai drame. L’exposition d’Orsay est donc la première à se focaliser avec ampleur et méthode sur cette phase ultime de l’œuvre de Van Gogh tellement fructueuse pour l’art moderne. Sur le strict plan historique, l’exposition comme le catalogue (256 pages, 200 illustrations, coédition Musée d’Orsay/Hazan, 45 €), propose une cartographie précise des lieux fréquentés et peints par Van Gogh à Auvers, le catalogue proposant même une « reconstitution » chronologique fine des peintures qui y ont éclos, de Chaumières (à Chaponval) (21 mai) à Racines d’arbres (27 juillet). Des précisions utiles à qui aime suivre l’évolution de l’artiste dans ses détours esthétiques, comme dans son quotidien plus prosaïque.

Entre son impression immédiate d’Auvers livrée à son frère dans une lettre du 20 mai (« réellement c’est gravement beau, c’est de la pleine campagne caractéristique et pittoresque. ») et les mots que contient la lettre qu’il portait sur lui au moment de sa mort (« Eh bien ! mon travail à moi, j’y risque ma vie et ma raison y a fondré à moitié,… »), Vincent a peint 74 tableaux (48 sont accrochés dans l’exposition) (*), réalisé 57 dessins, un carnet de croquis et une eau-forte du Dr Gachet. Une fièvre créative pour celui qui pense que le travail intense peut éloigner désespoir et trouble psychologique, s’efforçant d’échapper à une récidive nerveuse qui pourtant reste latente.

Ce sont d’ailleurs des figures mélancoliques comme plongées dans leurs pensées ou leur désordre intérieur qui accueillent le visiteur, l’autoportrait de Saint-Rémy (1889) et le second portrait du Dr Gachet, ainsi qu’une Pietà (d’après Delacroix) où le Christ a des faux airs de Vincent… Mais les premières salles nous entraînent plutôt dans l’air vivifiant et pittoresque d’Auvers, côté village (maisons, jardins, église, mairie…) et côté champs, où Van Gogh déploie toute sa vive palette, ses traits et sinuosités aussi, à exalter la nature. Jusqu’à produire une scène unique dans son œuvre, mais prisée des Impressionnistes, de personnages au bord d’un fleuve (Bords d’Oise à Auvers-sur-Oise) dans la détente et en pleine lumière. Vraiment, Vincent prend la nature sur le vif. Avec une audace rarement exprimée, il peint le vent (Champs de blé vert, Champ de blé aux corbeaux), la pluie ( Pluie - Auvers-sur-Oise) ou sa proximité (Champ de blé sous des nuages d’orage, Champs de blé après la pluie). « Je n’invente pas le tout du tableau, je le trouve au contraire tout fait - mais à démêler - dans la nature », écrivait-il à Émile Bernard en 1888. Une nature plutôt inquiétante et désolée à Auvers car les cieux ne sont guère sereins et les paysages vides de toute présence humaine…

Cependant, outre les nombreux paysages et vues du village, cette période est celle d’une grande diversité de motifs, des natures mortes de fleurs, des portraits, plutôt de jeunes femmes (Adeline Ravoux, Marguerite Gachet, des inconnues) mais aussi un Jeune homme au bleuet et le Dr Gachet. Vincent l’écrit à sa sœur Willemien début juin : « Ce qui me passionne le plus, beaucoup, beaucoup davantage que tout le reste dans mon métier - c’est le portrait, le portrait moderne. […] je ne nous cherche pas à faire par la ressemblance photographique mais par nos expressions passionnées, employant comme moyen d’expression et d’exaltation du caractère notre science et goût moderne de la couleur. » C’est bien de cela dont il s’agit dans l’expérimentation tumultueuse mais décidée de Vincent, cette recherche d’une couleur nouvelle et il l’écrit à son frère en février de cette même année 1890 : « si j’osais m’y laisser aller, à risquer davantage à sortir de la réalité et à faire avec de la couleur comme une musique de tons… » La salle abritant onze des treize toiles au format « double carré » (format allongé de 50 cm sur 1 mètre) peintes à Auvers, dont ses trois dernières, provoque un choc majeur par leur puissance panoramique (Paysage au crépuscule, Sous-bois avec deux personnages, plusieurs champs de blé.)… Il s’agit du choix délibéré de l’artiste d’un format inhabituel, peut-être cette « possibilité d’une nouvelle peinture… » qu’il évoque fin mai dans une lettre au peintre et critique Joseph Isaacson. La recherche d’un nouveau style, une innovation comme un avenir possible.

Il n’est jamais simple de voir une exposition de Van Gogh en faisant abstraction de sa courte vie « mouvementée » et de sa fin tragique, de laisser de côté les mythes et légendes qui parasitent sa vie et son œuvre depuis sa mort tragique… Justement, cette exposition nous donne d’abord à voir la peinture de Van Gogh, une magie absolue irréductible à quelque état mental que ce soit. Même si des repères biographiques, sous la forme de cabinets de contextualisation, viennent ponctuer le parcours de façon discrète et instructive. Car, pour ce qui concerne Van Gogh, il est tout de même difficile de séparer l’œuvre de la vie… Une exposition qui enchante autant qu’elle trouble.

Jean-Michel Masqué

(*) dont 49 paysages et vues de village, 13 portraits, 11 natures mortes (dont 9 compositions florales) et une œuvre animalière.

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 3 octobre 2023 au 4 février 2024
Musée d’Orsay
Tous les jours sauf le lundi
De 9h30 à 18h
Nocturnes les jeudis jusqu’à 21h45
Plein tarif : 16 €
Tél. 01 40 49 48 14
www.musee-orsay.fr


Équipé d’un casque de réalité virtuelle, le visiteur peut plonger dans la palette de Van Gogh comme s’il arpentait un paysage, pour partir à la découverte des œuvres et des techniques de l’artiste : la perspective, les couleurs et l’empâtement (l’impasto). Activité proposée de 9h40 à 17h20 (21h le jeudi) pendant toute la durée de l’exposition. La durée de l’expérience immersive est d’environ 10 minutes. Tarif : 6 €


Visuels :

 Vincent Van Gogh, Portrait de l’artiste, 1889. Huile sur toile. H. 65,0 ; L. 54,2 cm. Don Paul et Marguerite Gachet, 1949 © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.

 Vincent Van Gogh. Champ de blé aux corbeaux, Juillet 1890. Huile sur toile, 50.5 cm x 103 cm. Van Gogh Museum, Amsterdam (Vincent van Gogh Foundation) © Van Gogh Museum, Amsterdam (Vincent van Gogh Foundation).

 Vincent Van Gogh, L’église d’Auvers-sur-Oise, vue du chevet, 1890. Huile sur toile, 93,0 x 74,5 cm © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.

 Vincent Van Gogh, Le docteur Paul Gachet, en 1890. Musée d’Orsay
Don de Paul et Marguerite Gachet, enfants du modèle, 1949 © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.

 Vincent van Gogh, Paysage au crépuscule avec le château d’Auvers, 1890. Huile sur toile. Musée Van Gogh, Amsterdam. © Van Gogh Museum, Amsterdam (Vincent van Gogh Foundation).

 Vincent Van Gogh, Racines d’arbres, Juillet 1890. Huile sur toile, 50,3 cm x 100,1 cm. Van Gogh Museum, Amsterdam (Vincent van Gogh Foundation) © Van Gogh Museum, Amsterdam (Vincent van Gogh Foundation).


Impossible de voir une exposition sur les œuvres réalisées par Van Gogh à Auvers-sur-Oise, sans s’y rendre ! Situé dans le Val d’Oise, à 30 kilomètres de Paris, Auvers propose deux expositions en résonance avec celle du musée d’Orsay.

 « Van Gogh, les derniers voyages ». Château d’Auvers (95), du 7 octobre 2023 au 29 septembre 2024. Lire l’article.

 « Le musée rêvé de Vincent ». Musée Daubigny, du 14 octobre au 11 février 2024.

On poursuivra la balade en passant par la Maison du docteur Gachet, l’église et la modeste tombe couverte de lierre de Vincent et de son frère Théo, dans le petit cimetière en haut du village.

 À voir aussi : https://lagoradesarts.fr/-La-maison-atelier-de-Daubigny-Auvers-sur-Oise-.html et le musée de l’Absinthe.


 Autres expositions Van Gogh en Europe :

 « Van Gogh along the Seine », Amsterdam, Van Gogh Museum
Du 13 octobre 2023 au 14 janvier 2024. En savoir plus.

 « Van Gogh : Poets and Lovers »
Londres, National Gallery, Du 14 septembre 2024 au 19 janvier 2025.