Viollet-le-Duc, figure d’un siècle / Ed. Parenthèses

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Il ne faudrait pas réduire Eugène Viollet-le-Duc à sa vision romantique du Moyen-Age. Si elle lui a fait remettre le gothique à la mode au XIXe siècle en le revisitant avec fougue, ajoutant dans ses restaurations des éléments qui n’y étaient pas à l’époque en suivant un principe maintes fois répété : «  restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné ». Si cette trop grande liberté a provoqué de nombreuses polémiques qui perdurent encore, cette passionnante analyse érudite et nuancée, va bien au-delà afin de répondre à la question « qui a été Viollet-le-Duc » ? En s’appuyant sur ses nombreux écrits et correspondances, sur ses archives personnelles et les études qui lui ont été consacrées, en l’illustrant abondamment d’œuvres dessinées et peintes par Viollet-le-Duc, Martin Bressani, historien de l’architecture et spécialiste du XIXe siècle en France et en Angleterre interroge les fondements psychologiques, scientifiques et politiques de son œuvre pour comprendre comment s’est « construit » Viollet-le-Duc.

Dès l’introduction, l’auteur met en lumière l’enfance de Viollet-le-Duc, répressive et assombrie par la perte de sa mère. Il relate surtout un incident qui marqua durablement son imaginaire. Un jour qu’on avait amené le jeune Eugène-Emmanuel à Notre-Dame, fasciné par la lumière traversant les vitraux de la rose méridionale, il lui sembla que ceux-ci chantaient tandis que retentissait le grand orgue de la cathédrale. Sa terreur fut telle qu’il fallut le faire sortir. Entremêlant faits historiques et hypothèses, « sans garantie de vérité absolue », Brassani esquisse la nature profonde d’un autodidacte qui, s’il n’a reçu aucune formation académique, a dessiné de manière compulsive -et talentueuse- sous l’influence de son oncle et mentor le peintre Étienne Delécluze. Il a voyagé, s’est doté d’un savoir encyclopédique et d’une véritable bibliothèque d’images moyenâgeuses, avant de devenir un architecte réputé, soutenu par le pouvoir de Napoléon III et protégé par son ami l’écrivain Prosper Mérimée, inspecteur des Monuments historiques.
Surtout célèbre comme restaurateur des grands monuments historiques de la France médiévale : la Cité de Carcassonne, le château de Pierrefonds, et de nombreuses églises dont la Sainte-Chapelle, Notre-Dame de Paris, Amiens, Reims, Vézelay, lui l’athée et l’anticlérical qui considérait la cathédrale comme un « monument civique », Viollet-le-Duc fut aussi professeur et réformateur de l’École des Beaux-Arts, théoricien de l’architecture et fondateur du musée de Sculpture comparée dont le musée des Monuments français est l’héritier.

Marqué par le rationalisme et les idéaux progressistes d’un XIXe siècle en plein développement industriel, il est l’auteur de nombreux ouvrages (dont le Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle et Entretiens sur l’architecture). Et ce qu’on sait moins : constructeur d’immeubles contemporains, méditant même sur des projets en fer -puisque tel est l’avenir-, mais tout en restant dubitatif, y ajoutant une abondante ornementation art nouveau comme sur son projet de locomotive. Bressani ne nous cache aucune controverse liée aux principes de restauration de Viollet-le-Duc, ainsi qu’à ses études sur les liens entre la race et l’esthétique. Tout en suivant les étapes de la carrière de l’architecte durant ce Second Empire où les débats sur l’architecture et l’urbanisme font rage à Paris qui s’agrandit et se modernise (Halles de Victor Baltard, percement de nouvelles rues par le baron Haussmann, construction de gares et de ponts, de parcs, de réseaux d’adduction d’eau et d’égouts…), Brassani nous livre des détails plus intimes sur Viollet-le-Duc. Comme son goût de la nature et de la montagne source de randonnées, d’inspiration et de quantités de dessins. Il révèle aussi un moment peu connu de la vie du chantre du néogothique : son engagement lors de la guerre avec la Prusse en 1870. Alors âgé de 56 ans, incapable de rester inactif devant la déroute française, Viollet-le-Duc confiera : « l’oisiveté, en ces circonstances, m’eût rendu fou enragé ».
On lira avec intérêt ce portrait passionnant d’une figure complexe et tourmentée d’un siècle qui le fut aussi.

Martin Bressani
Ed. Parenthèses
Collection Architectures
Traduit de l’anglais par Claude Jean
512 pages, 212 ill.
Mai 2025
42€