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Anna-Eva Bergman. La pureté de la ligne

Anna-Eva Bergman (1909-1987) reste trop méconnue malgré de très nombreuses expositions, dont celle au musée de Caen en 2019. Alors on se réjouit de cette grande rétrospective parisienne composée de plus de 300 œuvres (peintures, photos, dessins, documents visuels et audiovisuels (notamment un film tourné dans son atelier) qui met en lumière de manière magistrale son langage pictural singulier, fondé sur un vocabulaire de formes simples suggérées par les paysages nordiques de son enfance, et l’usage très spécifique d’un matériau devenu sa signature : la feuille de métal, inspirée par les retables des églises norvégiennes du Moyen Age.

Femme du peintre Hans Hartung, avec lequel elle vivra une relation passionnée et un peu tumultueuse (l’épousant deux fois), Anna-Eva Bergman est née à Stockholm, d’un père suédois et d’une mère norvégienne. Si elle voyage toute sa vie, de la Norvège à Antibes en passant par Berlin et Minorque, où qu’elle soit, elle peint la lumière, l’obscurité, le soleil de midi et celui de minuit, les montagnes, la pluie, les vagues, le vent, ainsi que les minéraux, fascinée par les beautés géologiques de la nature, magnifiant toujours la pureté de la ligne. « Il ne faut faire qu’un avec ce que l’on peint. On doit être à la fois le motif à peindre et celui qui le peint », dit-elle en 1948*. Ajoutant bientôt d’autres thèmes et motifs : astres, tombeaux et barques archaïques, s’intéressant aux représentations du monde d’hier à aujourd’hui et soulignant la finitude de l’existence.

Le Musée d’Art Moderne de Paris, qui avait acquis 4 œuvres du vivant de l’artiste, conserve aujourd’hui plus d’une centaine d’œuvres (peintures, aquarelles, estampes) de cette peintre majeure de la peinture de l’après-guerre, toutes époques et techniques confondues, grâce à un don majeur consenti par la Fondation Hartung-Bergman en 2017. L’exposition, qui fait suite à la rétrospective consacrée à son époux, Hans Hartung, en 2019 s’appuie sur cet ensemble, complété d’œuvres et de documents d’archives dont certains encore inédits, provenant des collections de la Fondation.

On y découvre ses premières œuvres encore figuratives dans lesquelles elle s’intéresse à l’architecture, comme ces vues d’habitations peintes à Minorque, les caricatures qu’elle produisit au début de sa carrière, avant de s’écarter de toute référence strictement figurative pour privilégier les formes et la matière picturale ; apportant un soin particulier à la couleur des glacis qui recouvrent de plus en plus souvent les feuilles de métal (or, argent, aluminium, cuivre, étain, plomb, bismuth), donnant de somptueux reflets comme ceux vert bleuté de son Grand Arbre (ou Moïse), 1957. À partir des années 1960, elle travaille dans la matière même de l’œuvre, en arrachant ou plissant le métal pour apporter du volume ou pour capter comme dans Grand Océan (1966) la liquidité et les mouvements de l’eau. Une peinture aux nombreux reflets qui invite comme toutes celles à la feuille de métal, à se déplacer devant la toile pour tenter de figer cette surface sans cesse mouvante.

Intéressée par le fameux « nombre d’or », cette « divine proportion », Anna-Eva Bergman sera toujours à la recherche d’un nombre restreint de formes simples pour représenter des paysages minimalistes mais d’une grande complexité, dans des formats alternant le tout petit (11 x 15 cm) et le monumental (200 x 300 cm), telle cette ligne blanche tracée sur un immense fond bleu, une épure ultra symbolique (Contour de montagne bleue, 1977). Les formes se font de plus en plus simples et la gamme colorée plus restreinte. Une dominante de noir et de bleu sombre pour les falaises, du blanc pour les lacs, les fjords et les terres enneigées. Conservant une force des thèmes adossée à une grande délicatesse de la technique. On lira avec intérêt la passionnante biographie que vient de lui consacrer Thomas Schlesser, directeur de la Fondation Hartung-Bergman, racontant « les vies lumineuses » de cette femme artiste dont la vie dédiée à la création, loin des modes, fut extraordinaire mais parcourue de souffrances et de bouleversements, de son enfance norvégienne sous le signe de la peur à sa fin tragique dans l’addiction à l’alcool et la dépression.

Catherine Rigollet

(*Page de carnet au 7 novembre 1948, Pistes / Stier, édition d’Ole Henrik Moe, Antibes. Fondation Hartung-Bergman, 1999).
Lire aussi : https://lagoradesarts.fr/-Anna-Eva-Bergman-L-Atelier-d-Antibes-1973-1987-.html (2017-Domaine de Kerguéhennec)

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 31 mars au 16 juillet 2023
Musée d’art moderne de la ville de Paris
11 avenue du Président Wilson 75016
Du mardi au dimanche, 10h-18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 21h30
Tarifs : 15€/13€
Gratuit pour les moins de 18 ans
www.mam.paris.fr


 À lire : Anna-Eva Bergman. Vies lumineuses, Thomas Schlesser. Ed. Gallimard.
Novembre 2022. 384 pages. 53 ill. 29€.


Visuels :

 Anna-Eva Bergman, « Non titré » (vue d’habitations peintes à Minorque), vers 1933. Huile sur toile. Fondation Hartung-Bergman. Photo L’Agora des Arts.

 Anna-Eva Bergman, « N°26-1962 Feu ». 1962. Huile et feuille de métal sur toile. 250 x 200 cm. Fondation Hartung-Bergman. Photo : L’Agora des Arts.

 Anna-Eva Bergman, « N°45-1971, Crête de montagne », 1971. Acrylique, modeling paste et feuille de métal sur toile, 200 x 150 cm. Musée d’Art moderne de Paris. © Anna-Eva Bergman / Adagp, Paris, 2023. Photo : L’Agora des Arts.

 Anna-Eva Bergman, « N°13-1976, Deux Nunataks », 1976. Acrylique et feuille de métal sur toile. 150 x 300 cm. Fondation Hartung-Bergman © Anna-Eva Bergman / Adagp, Paris, 2023 (don de la Fondation Hartung-Bergman en 2017) © Anna-Eva Bergman / Adagp, Paris, 2023. Photo © Fondation Hartung-Bergman. Photo : L’Agora des Arts.

 François Walch, « Anna-Eva Bergman dans son atelier à Antibes », 1975. Épreuve gélatino-argentique, 16 x 23,5 cm. Fondation Hartung-Bergman © François Walch / Adagp, Paris, 2023 © Anna-Eva Bergman / Adagp, Paris, 2023.