Un ragoût de viande avec une sauce aux plantes aromatiques additionnée de pain…voilà ce qu’a révélé l’analyse d’un petit morceau de pot en terre cuite de quelques centimètres analysé par un archéologue. Témoins omniprésents des sociétés anciennes, les déchets sont porteurs de précieux renseignements. Sur l’alimentation comme nous renseignent les ossements d’animaux, les traces de vin, d’huile ou de sauce à base de poisson dans les amphores, les coquilles d’œuf, arrêtes de poissons ou pain calciné. Sur leur savoir-faire et les progrès techniques (éclats de taille, débris et ratés d’ateliers de potiers, scories de forgerons, bris de verreries). Sur la croissance de la population (traces d’habitats, inhumations). Sur l’accroissement de la productivité et du commerce ; les fragments de poteries importées de proches ou lointains horizons permettant de mettre en évidence les réseaux commerciaux. Sur leur mode de vie (sédentarisation, urbanisation). Sur la mode grâce à des accessoires, bijoux et tissus égarés ou jetés. Sur l’environnement et l’hygiène... Et pour cela, tous les vestiges matériels constituent une mine d’informations pour les archéologues.
Nos vies dans les déchets
C’est au Néolithique (sur l’actuel territoire de la France, entre -5200 et -2100), avec le passage d’un mode de vie nomade à un mode de vie sédentaire et l’apparition des premiers villages, qu’un tournant essentiel se produit. Cette période voit naître des sociétés dans lesquelles la production et l’accumulation de biens prospèrent. Préoccupés par la propreté de leur habitat, les humains balayent leurs intérieurs et rejettent les déchets de plus en plus loin de leurs habitats. Les endroits où l’on retrouve les déchets (fossés, silos, puits, sols de maison, latrines, rivières et fleuves comme dans la Seine où des quantités d’objets recueillis racontent l’histoire de Paris), permettent de comprendre comment les humains du passé se débarrassaient des ordures produites au quotidien.
Dans une passionnante et didactique exposition conçue par la commissaire Isabelle Amiand, le musée Archéa (l’un des deux musées d’archéologie du Val d’Oise situé à Louvres), retrace l’histoire de nos déchets, qu’ils soient : détritus, débris, résidus, balayures, excréments, scories ou boues. Le parcours ouvre sur une grande frise historique qui montre comment, du Néolithique à l’époque contemporaine, les déchets sont passés de la simple trace (éclats de silex, ossements, débris d’amphore…), à une production de masse difficilement dégradable ou recyclable comme les déchets en plastique ou les déchets nucléaires.
Alors on en fait quoi ?
Ça déborde ! Progressivement, les déchets liés aux besoins vitaux (se nourrir, se vêtir, se loger) ont été rejoints par des déchets engendrés par des besoins plus secondaires, comme montrer son statut social, se divertir ou même simplement se faire plaisir. Au fil du temps, l’accroissement progressif de la production de déchets a aussi nécessité de les éloigner des habitations par mesure d’hygiène (d’abord dans des latrines, fossés, puits, remblais), de les évacuer pour éviter les épidémies (en comblant parfois des zones abandonnées ou désaffectées comme d’anciennes carrières), de les réutiliser, de les recycler pour les valoriser.
Les débris de verre et de métaux furent longtemps conservés pour être refondus et servir à la fabrication de nouveaux objets. L’urine fut utilisée dans l’artisanat du textile pour assouplir ou pour servir de liant aux teintures tandis que les gadoues (excréments et déchets alimentaires) étaient épandues dans les champs pour enrichir la terre (on le fait toujours aujourd’hui avec les boues des stations d’épuration). Les os étaient utilisés pour faire de la colle ou en tabletterie. Les chiffonniers armés d’un croc ramassaient les chiffons qui servaient à fabriquer de la pâte à papier et les papiers pour la cartonnerie, etc.
Le meilleur déchet est celui que l’on ne produit pas
Imaginée déjà par le visionnaire préfet Eugène Poubelle au XIXe siècle (qui obligea par décrets les propriétaires d’immeubles à mettre à disposition de leurs locataires des récipients communs, munis d’un couvercle et d’une capacité suffisante pour contenir les déchets ménagers, mais se heurta à l’hostilité de la population, des concierges et des chiffonniers pour imposer trois boites : une pour les matières putrescibles, une pour les papiers et les chiffons et une dernière pour le verre, la faïence et les coquilles d’huîtres !), la filière du tri sélectif et du recyclage est devenue un impératif. Mais ne nous leurrons pas, l’Anthropocène produit encore tellement de déchets, de moins en moins périssables ou réutilisables, que les archéologues du futur ne devraient pas manquer de matériaux à se mettre sous la dent. Pédagogue, et pour nous rappeler que « le meilleur déchet est celui que l’on ne produit pas ! », l’exposition invite chaque visiteur à voter pour un écogeste qu’il est prêt à faire pour réduire sa quantité de déchets.
Catherine Rigollet