Chana Orloff. La redécouverte d’une grande sculptrice de l’école de Paris

Cette première exposition parisienne monographique dédiée à Chana Orloff, depuis 1971, rassemble une centaine d’œuvres de cette artiste célébrée de son vivant mais injustement méconnue aujourd’hui.

Le petit musée Zadkine situé à deux pas de l’atelier qu’occupa Chana Orloff rue d’Assas au début de sa carrière, lui rend hommage, exposant ses sculptures figuratives qui dialoguent ponctuellement avec celles du maître des lieux, le sculpteur Ossip Zadkine, qui connaissait l’artiste. Leurs parcours présentent d’ailleurs de nombreuses similitudes : ils sont tous les deux d’origine juive et nés dans l’Empire russe, elle dans l’actuelle Ukraine et lui dans l’actuelle Biélorussie. Parisiens de cœur, familiers du quartier de Montparnasse, Chana Orloff et Ossip Zadkine ont mené une route parallèle et indépendante.

Formée à la couture, rien ne prédestinait donc Chana Orloff, née en 1888 dans une famille juive émigrée en Palestine, à devenir une sculptrice renommée de l’école de Paris. Une vocation pour la sculpture qu’elle découvre à son arrivée à Paris en 1910 et va cultiver au contact des artistes de Montparnasse, dont Modigliani ou Soutine qui deviennent des amis. Dans un style personnel et inimitable (elle n’a eu ni maître, ni élève), elle remporte ses premiers succès avec ses portraits, à la fois stylisés et ressemblants. Une série de têtes sont exposées dans la première salle de l’exposition où trône l’imposante sculpture en plâtre peint du rondelet peintre Widhopff (ou L’Homme à la pipe, 1924) à côté de la juvénile silhouette en bois poli de Nadine (Vogel), 1921.

Des portraits, des femmes et un bestiaire

Expérimentant toutes sortes de matériaux comme le bois, mais aussi le bronze, le plâtre et le ciment (rarement utilisé en sculpture), Chana sculpte surtout des portraits aux poses ou expressions passives, mais aussi des femmes en mouvement comme un manifeste de leur désir de liberté et d’émancipation (cavalières, danseuses), des maternités (elle revendique fièrement sa double identité de mère et d’artiste) et un important bestiaire (poissons, insectes, oiseaux…) souvent symbolique. Comme ce corps de Sauterelle qui évoquerait, selon les commissaires de l’exposition, les chars d’assaut allemands, et ses ailes le symbole des divisions d’infanterie SS, mais ferait aussi référence, dans la Bible hébraïque, à la nuée de sauterelles, l’une des sept plaies infligées à l’Égypte par le dieu des Hébreux qui y sont retenus en esclavage.

Devenue célèbre, ayant obtenu la Légion d’honneur et la nationalité française en 1925, exposant régulièrement au Salon d’Automne et des Artistes indépendants où ses œuvres sont remarquées, elle se fait construire par l’architecte Auguste Perret (dont elle a fait le portrait en 1923) une maison avec plusieurs ateliers, près du parc Montsouris dans le 14e arrondissement de Paris. Un lieu qui expose 200 œuvres de Chana Orloff et qui se visite (https://www.chana-orloff.org/).

Une œuvre spoliée

Le parcours de l’exposition, conçue en partenariat avec les Ateliers-musée Chana Orloff et qui bénéficie du soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, se termine dans l’atelier du jardin avec des œuvres créées à partir de 1945, après son retour de la Suisse où elle s’était exilée à la veille de la rafle du Vél’d’Hiv en 1942 avec son fils Didi (né en 1918 et orphelin en 1919 ; son père, le poète polonais Ary Justman emporté par la grippe espagnole). Elle a retrouvé sa maison-atelier pillée ; les quelque 140 sculptures qui s’y trouvaient ont disparu*. Elle s’est remise à travailler et l’une de ses premières œuvres est inspirée de portraits de survivants du camp de Buchenwald. Nommée Le Retour (1945, bronze), elle représente un homme pensif, exprimant le calvaire d’un déporté. Sa matière déchiquetée est en totale rupture avec le style toujours très lisse de la sculptrice. C’est aussi l’une des rares expressions de douleur dans son univers de rondeur et de douceur.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 15 novembre au 31 mars 2024
Musée Zadkine
100 bis, rue d’Assas – 75006 Paris
Du mardi au dimanche, 10h-18h
Tarifs : 9€/7€
www.zadkine.paris.fr


*Aujourd’hui, les petits-enfants de Chana Orloff tentent de retrouver les traces de ses œuvres disparues. Parmi celles retrouvées, un bois représentant Elie (surnommé Didi), son fils, à ses 3 ans, réapparue à New York en 2008 et restituée en 2022. Son histoire fait l’objet d’une exposition-dossier au musée d’art et d’histoire du judaïsme jusqu’au 29 septembre 2024. On peut voir aussi plusieurs de ses œuvres dans Le Paris de la Modernité - Petit Palais, jusqu’au 14 avril 2024.

 « À la trace. Histoires d’œuvres spoliées pendant la période nazie », la série de podcasts du ministère de la Culture s’est enrichi d’un Hors-série (en deux épisodes) consacré à Chana Orloff.


Visuels :

 Chana Orloff, Torse, 1912. Ciment. Paris, Ateliers-musée Chana Orloff.

 Chana Orloff, Amazone, 1915, bronze. Paris, Ateliers-musée Chana Orloff.

 Chana Orloff, Grande baigneuse accroupie, 1925. Paris, Ateliers-musée Chana Orloff.

 Chana Orloff, Sauterelle, 1939. Bronze. Paris, Ateliers-musée Chana Orloff.

 Chana Orloff, Le Retour, 1945. Bronze. Paris, Ateliers-musée Chana Orloff.

 Chana Orloff dans son atelier, 66-68 rue d’Assas, Paris 75006. Photographie de Thérèse Bonney (dite Mabel, 1894-1978), Galerie Roger-Viollet. Agrandie au mur dans l’exposition (détail).

Photos : L’Agora des Arts.