Le Paris de la modernité, 1905-1925

« Paris est une fête ! » exultait Hemingway dans les Années 20. Ce « Paris de la modernité » au Petit Palais en est une aussi qui nous promène dans la folle inventivité des années 1905 à 1925, au travers de 400 œuvres (en peinture, mode, architecture ou industrie...) formidablement mises en scène.

De la Belle Époque jusqu’aux années folles, Paris continue plus que jamais d’attirer les artistes du monde entier. La Ville-lumière est à la fois une capitale au cœur de l’innovation et le foyer d’un formidable rayonnement culturel qui se maintiendra après la Première Guerre mondiale, période pendant laquelle les femmes jouent un rôle majeur.
Divisé en onze sections, le parcours ouvre sur la bohème artistique qui transforme le Montmartre du cabaret du Lapin agile et des ateliers du Bateau-Lavoir en vivier d’artistes créatifs venus de province, d’Italie ou d’Espagne, en quête de reconnaissance et de nouveaux courants, comme Picasso qui défraie la chronique avec ses cubistes et érotiques Demoiselles d’Avignon en 1907. Les œuvres d’art en provenance d’Afrique et d’Océanie (dit primitif, mais bien souvent contemporain) exercent aussi une influence profonde sur la production d’artistes comme Picasso mais aussi Vlaminck ou van Dongen. L’ébullition créatrice est là et l’ambiance qui va avec. Au Lapin Agile, le cabaret du « père Frédé », Roland Dorgelès y monte le fameux canular du tableau réalisé par Lolo, l’âne du père Frédé, à la queue duquel on a attaché un pinceau. Signée Joachim Raphaël Boronali (soi-disant jeune peintre italien), l’œuvre intitulée Coucher de soleil sur l’Adriatique est même acceptée au Salon des indépendants de 1910 ! C’est cela aussi l’ambiance de la Butte en ce temps-là.
Le laboratoire de la modernité traverse la Seine et Montparnasse devient la nouvelle Ruche effervescente. Le jeune Salon d’automne qui se tient au Petit Palais depuis 1903 permet aux artistes de rencontrer le public, parfois en le scandalisant comme Matisse, Manguin, Derain, Vlaminck, Marquet et Camoin avec leurs couleurs violentes lors de l’édition de 1905. Un nouveau mouvement est né ! Évoqué paradoxalement par les deux bustes d’enfant du sculpteur Albert Marque qui trônaient au centre de leur salle et qui fit écrire au critique Louis Vauxcelles : « Donatello chez les fauves ».

La liberté sans tabous

Pour marquer le boum des transports et l’émergence des salons du cycle, de l’automobile et de l’aviation, les commissaires Annick Lemoine et Juliette Singer n’ont pas hésité à faire entrer une automobile Peugeot (type BP1 dite « Bébé Peugeot »), une bicyclette et même un aéroplane (Deperdussin type B, 1911) ! La mode des transports est à la vitesse et la mode des femmes est à jeter le corset. Un couturier va s’y employer : « Poiret le Magnifique » dont on se régale des modèles en vitrines aux côtés des parfums et bijoux des nouveaux créateurs. C’est sur les Champs-Élysées et autour de son nouveau Théâtre construit par les frères Perret et décoré par Bourdelle en 1913 que le tout Paris se précipite pour voir Nijinski, le danseur vedette des Ballets russes créés par Diaghilev. Si le choc de la chorégraphie du Sacre du printemps sur la musique de Stravinsky est grand, tout comme celui de l’incompris ballet Parade écrit par Cocteau avec une chorégraphie de Léonide Massine sur une musique de Satie et une scénographie de Picasso, ils sont hélas vite oubliés par une déflagration plus violente : la guerre, déclarée par l’Allemagne à la France le 3 août 1914.

La Grande Guerre filmée

La sixième section de l’exposition montre la réalité des combats en dessins (Effet d’un obus dans la nuit, Georges Scott, 1915), peintures (Église des Hurlus en ruines, 1917 par Félix Vallotton, investi comme l’un des peintres aux armées), affiches comme celle d’une exposition d’œuvres d’art mutilées au Petit Palais en 1916, mais aussi en images car pour la première fois, cette guerre est filmée et photographiée. De nombreux artistes, y compris étrangers, s’engagent. Fernand Léger, Ossip Zadkine, Guillaume Apollinaire (deux fois trépané), Blaise Cendrars (qui perdra un bras), Jean Cocteau (comme infirmier), etc. Modigliani sera réformé, Picasso…n’est pas mobilisé, en tant que ressortissant d’un pays neutre. L’exposition rappelle aussi un fait peu connu : plus de 200 peintres, sculpteurs, modeleurs, architectes, teinturiers, décorateurs seront formés afin d’être affectés dans des ateliers de l’armée pour imaginer et fabriquer des camouflages.

La frivolité des Années 20

La paix retrouvée, une myriade d’artistes converge du monde entier vers Paris, dont des Américains avec le jazz dans leurs bagages. Montparnasse s’affirme comme le cœur battant des Années folles. Les peintres Soutine (soutenu par le mécène Albert Barnes) et Foujita sont les plus en vogue, Kiki de Montparnasse devient l’égérie de cette période de soif de vivre où la vitesse est portée par toutes les nouveautés, où la femme se coupe les cheveux, érigée en « garçonne » par Victor Margueritte qui en fait un symbole d’émancipation féminine, où les fêtes se multiplient, l’alcool coule sans prohibition, le charleston endiable les corps des riches élégantes habillées par Jeanne Lanvin et bijoutées par Cartier.

La place des femmes

Des artistes comme Marie Laurencin, Sonia Delaunay, Jacqueline Marval, Chana Orloff (dont le musée Zadkine célèbre actuellement l’œuvre), Marie Vassilieff ou encore Tamara de Lempicka participent pleinement aux avant-gardes. Parmi elles, le mouvement dada fondé par Tristan Tzara auquel s’est rallié Picabia, Soupault, Duchamp, Ray et Ernst est l’un des plus chahuteurs avec ses actions irrévérencieuses et ses « ready-made ». Son implosion aboutira à la création du surréalisme sous la tutelle d’André Breton, en 1924. Un surréalisme dont Apollinaire disait voir les prémices dans La Parade de Satie en 1917. Loin des lois de ségrégation américaine, l’exceptionnelle danseuse et chanteuse Joséphine Baker bouscule les esprits et fait sensation dans la Revue nègre (Paul Colin, Affiche de la Revue nègre au Music-Hall des Champs-Élysées, vers 1925).

Le monde d’après

En 1925, l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes rencontre un immense succès populaire avec plus de 15 millions de visiteurs et acte le rayonnement de « l’art déco » hors des frontières françaises. Plusieurs salles de l’exposition subliment ce mouvement avec des chefs-d’œuvre, notamment du mobilier de Ruhlmann, La Porte de la boutique Siegel en fer forgé et verre (conservée au musée des Années 30), un monumental Ours blanc de Pompon aux lignes épurés et l’immense Tour Eiffel de Robert Delaunay rendant hommage à la tour, à la femme et à Paris. L’emblème de la modernité.
Une belle et passionnante exposition qui, après « Paris romantique » (1815-1858) et « Paris, la Ville spectacle », clôt la trilogie initiée par le Petit Palais. Elle passe forcément sous silence le monde d’après, celui de la crise boursière de 1929 qui va mettre un point final à la parenthèse (presque) enchantée des Années folles.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 14 novembre au 14 avril 2024
Petit Palais
Avenue Winston Churchill - 75008
Du mardi au dimanche, 10h-18h
Plein tarif : 15€
Tél. 01 53 43 40 00
www.petitpalais.paris.fr


Visuels :

 Pablo Picasso, Buste de femme ou de marin (étude pour Les Demoiselles d’Avignon), 1907. Huile sur carton. Paris, Musée national Picasso-Paris. Dation Pablo Picasso, 1979. Photo : L’Agora des Arts.

 Aéroplane, Deperdussin type B, 1911. Photo : L’Agora des Arts.

 Paul Poiret, Robe Delphinium dite « Robe Bonheur » avec fond de robe à modestie pour Denise Poiret, 1912. Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris.

 Georges Scott, Effet d’un obus dans la nuit, 1915. Encre, pastel et rehauts de gouache sur papier. Paris, musée de l’Armée. Photo : L’Agora des Arts.

 Le Cheval et Le Manager new-yorkais, Costumes pour le ballet Parade, dessinés par Pablo Picasso en 1917. Photo : L’Agora des Arts.

 Chana Orloff, David Ossipovitch , 1923. Avec au fond à gauche, Léonard Foujita, Mon intérieur (nature morte au réveille-matin, 1921) et à droite Léonard Foujita, Nu , 1925. Photo : L’Agora des Arts.

 Kees van Dongen, Joséphine Baker , 1925. Encre de Chine et aquarelle sur papier, 71,1 x 48,3 cm. Dépôt au musée Singer Laren, Meerhout. Photo : L’Agora des Arts.

 Au premier plan, La Jeune fille à la cruche de Joseph Bernard (1910) exposée au Salon des arts déco de 1925. Photo : L’Agora des Arts.

 Roger Dumas, Exposition des arts décoratifs, Invalides, Le Pavillon de Ruhlmann, dit du Collectionneur. Paris, 22 juin 1925. Autochrome 9 x 12 cm. Collection Archives de la Planète, musée départemental Albert-Kahn (92). Photo : L’Agora des Arts.

 Robert Delaunay, Ville de Paris – La femme et la tour, 1925. Photo © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image Staatsgalerie Stuttgart.

 François Pompon, Ours blanc, 1922-1925. Plâtre patiné ; socle en bois recouvert de plâtre, 173 x 91 x 258 cm (avec socle) Dimension du socle 40 x 250 x 91 cm. Paris, Muséum national d’histoire naturelle, en dépôt au musée de l’Homme/ Photo J.C. Domenech.