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Saison d’art 2023 à Chaumont sur Loire

Un homme discret, tout en sérénité sous ses cheveux blancs, se penche vers un large disque miroir posé sur le sol et le fil infini tiré depuis la voûte d’ogives de la Tour du Roi...L’artiste coréen Lee Ufan, l’un des invités de l’enthousiaste directrice du château Chantal Colleu-Dumond pour cette Saison d’Art 2023, cherche par son œuvre méditative, imprégnée du poids de l’histoire par le lieu, à nous entrainer loin d’un monde régi par l’informatique et l’intelligence artificielle, vers un ailleurs infini. Et il y réussit !

Revenir à Chaumont chaque année, c’est comme retrouver de « vieux amis », éparpillés dans le parc ou le château : la rêverie arachnéenne et colorée dans la chapelle du collectif Gerda Steiner et Jorg Lenzlinger, le Nid des murmures de Stéphane Guiran ; les cabanes nichées dans les arbres du parc de Tadashi Kawamata ou les géants noirs figés de Christian Lapie sur la pelouse (qui élargissent leur cercle ce printemps avec de nouvelles figures).

Revenir à Chaumont, c’est découvrir cette année quinze créateurs qui nous entrainent dans la lecture, la nature, le rêve. Les tableaux en relief de l’artiste roumain Stefan Râmniceanu, assemblages de dos de livres qui ne demandent ni peinture ni pinceau, renvoient à l’homme de la Renaissance que nous voudrions tous être, cet érudit qui ne comptait que sur sa propre mémoire et intelligence, deux concepts mis à mal aujourd’hui par l’informatique et l’intelligence artificielle. Pascal Convert, après ses livres cristallisés au contenu vitrifié en 2021, a déposé sur une longue table nappée de verre noir une foultitude de bougeoirs de gypse blanc, tous différents dans leur baroque ornementation : cérémonie funéraire ou fête joyeuse ? l’artiste donne libre cours à votre imagination.

Près des écuries, Grégoire Scalabre s’est livré à un travail plus que minutieux (il n’est pas le seul cette année). Pour les trois œuvres exposées, il a lui-même créé sur son tour de céramiste, et légèrement coloré, des dizaines de milliers de minuscules amphores de quelques centimètres qu’il a imbriquées pour en faire une efflorescence marine monumentale, flottant sur son socle. Prouesse technique qui n’est pas sans nous rappeler la complexité de la nature, et qui nous entraine au fonds des océans, là où les navires anciens chargés d’amphores reposent à jamais. Deux autres artistes se sont, elles aussi, livrées à un travail de fourmi : Claire Morgan, nous invitant à Être seul avec toi, a pendu le corps désarticulé d’un grand oiseau migrateur, dont le flanc projette vers le haut une constellation, non pas de plumes, mais de déchirures de plastique transparentes ou jaunes. On ne sait s’il faut regarder de haut en bas, ou de bas en haut, on est déconcerté par ce matériau d’arte povera, mais on est captivé par le contraste entre cet animal lourd du poids de la mort, qui semble donner naissance à un nuage d’embryons ailés. La mort engendre-t-elle la vie ? (si vous regardez de bas en haut) ou la vie se réduit-elle à la mort ?, semble être le message à déchiffrer. Sophie Blanc, elle, par ailleurs restauratrice-doreuse, célèbre les prés de son enfance en dorant à la feuille des agrostides et autres graminées, créant d’aériens bosquets miniatures qu’elle enferme dans des boîtes de verre, sublimation de nos souvenirs lointains de virées en forêts ou d’escapades dans les prés.

À Fabrice Hyber, il a été donné assez d’espace pour exprimer en format géant sa réponse à l’appel à la célébration de la nature, dans toutes ses variations, qui sous-tend les œuvres exposées à Chaumont année après année. L’artiste conçoit son œuvre comme un rhizome se développant sans fin, fait défiler des arbres simplistes en apparence, qui sont peut-être, à l’image de nos systèmes de pensée, solidement ancrés au monde, mais portant fruits lorsqu’ils s’élèvent vers l’infini. Pour vous permettre de mieux y réfléchir, Fabrice Hyber a demandé que des sièges soient installés devant les toiles.

La part du lion a été réservée dans les Galeries Hautes du château à une rétrospective de l’œuvre d’Alechinsky à l’imprimerie, des gravures, des lithos, des livres liés à la nature. Soixante-dix ans de travail sur papier de celui qui fut typographe et imprimeur. Bestiaires fantasques et colorés, jeux de calligraphie (Peindre une toile vierge avec son consentement), abécédaire onirique encadré par les fameuses « remarques marginales », version Alechinsky de la prédelle, arbres et astres, on voudrait s’attarder sur chaque image, joyeux ballet de signes, lignes, et de couleurs. On s’en arrache avec difficulté.

Quelque soient leurs sources d’inspiration, leurs quêtes de sens, leurs techniques, une fois que les artistes ont installé leurs œuvres à Chaumont, c’est au regardeur qu’elles appartiennent ! Et cette année encore, il ne sera pas déçu !

Elisabeth Hopkins

Archives expo en France

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 1er avril au 29 octobre 2023
Domaine de Chaumont-sur-Loire
41150 Chaumont-sur-Loire
Tél.02 54 20 99 22
Tous les jours, 10h-19h (jusqu’au24/4)
10h-20h du 25/4 au 31/08
10h-19h30 du 1er au 30/9
Entrée : 14 € jusqu’au 30 avril
20 € du 1er mai au 31 octobre
www.domaine-chaumont.fr


Visuels :
 Lee Ufan, Le fil infini. Installation au Domaine de Chaumont-sur-Loire 2023. © E. Sander.
 Stefan Râmniceanu, installation au Domaine de Chaumont-sur-Loire 2023. © E. Sander.
 Grégoire Scalabre, L’ultime métamorphose de Thétis, installation au Domaine de Chaumont-sur-Loire 2023. © E. Sander.
 Pascal Convert, Vestigium, installation au Domaine de Chaumont-sur-Loire 2023. © E. Sander.