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Dana Schutz. Le monde visible

Artiste américaine de l’après 11 septembre, Dana Schutz n’y va pas avec le dos du pinceau pour exprimer sa vision du monde contemporain. Dans les immenses compositions narratives de cette femme au visage tout en douceur encadré d’une épaisse chevelure bouclée, tout n’est que fureur et drames d’un monde dystopique. Les couleurs éclatent, presque fauves, et grouille sur les toiles un peuple de personnages exaltés qu’on dirait issus d’un cartoon américain revisité à l’expressionnisme allemand. Un univers de personnages turbulents, de folie humaine, de violences et d’absurdités. Si une forme de « légèreté possible » est évoquée en introduction de la visite par la commissaire de l’exposition, Anaël Pigeat, on les cherche en vain dans cette succession d’une quarantaine de peintures réalisées depuis le début des années 2000, ou l’audace des couleurs ne diminue en rien la dramaturgie des scènes crues, cyniques, parfois violentes.

Depuis ses premières toiles, l’artiste (née en 1976 dans le Michigan, vit à Brooklyn) poursuit l’idée de construire des mondes. Ainsi, dans Civil Planning (2004), deux femmes tentent de bâtir un immeuble tandis que tout n’est que chaos autour d’elles, des morceaux de jambes pendant au milieu d’une forêt tropicale luxuriante, faux paradis terrestre. Dans ses grands portraits à la touche large et puissante, la forme du grotesque prédomine, comme dans cette figure de blonde jeune fille éjectant un puissant jet de morve de son nez en forme de groin (Sneeze, 2001) ou dans ce visage englouti par une énorme bouche, illustrant l’expression populaire : « avaler ses mots » (Face Eater, 2004).
Faisant souvent référence à l’histoire de l’art, Dana Schutz convoque Munch (Le Cri) dans Swimming, Smoking, Crying, 2009 ; Bruegel (La parabole des aveugles) dans Men’s Retreat (2005) des hommes d’affaires perdus dans la nature ; ou encore Ensor (L’Entrée du Christ à Bruxelles) dans Presentation, (2005), une foule regroupée devant un immense cadavre en dissection.

Récemment, ses peintures se font de plus en plus allégoriques, peuplées de groupes de personnages colorés aux grosses têtes qui luttent pour grimper au sommet d’une montagne, dans une totale confusion comme sur une Tour de Babel (Moutain group, 2018) ou s’agglutinent dans une coque de noix dans une scène de boat people ou de Radeau de la Méduse (Boat Group, 2020), prêts à s’entredévorer pour survivre comme dans l’univers cauchemardesque de Philip Guston (https://lagoradesarts.fr/-Philip-Guston-Retrospective-a-la-Tate-Modern-.html ). Des scènes figuratives où tous sont malmenés dans leur existence et menacés par le monde qui les entoure. C’est le cas de la femme aux grands yeux ronds « d’un vert de feux de circulation », nue sur son rocher, déesse ou naufragée, plongeant sa main dans une mer charriant des détritus à ne plus voir la couleur de l’eau. Une toile qui a donné son titre à l’exposition : The Visible World (2018).

On ne sort pas indemne de cette exposition qui représente vingt années de travail ; une production assez phénoménale, intégrant aussi dans le parcours une vingtaine de dessins et de gravures, et sept sculptures imposantes et carnavalesques où la forme se noie dans les empâtements d’une matière grumeleuse, telle une lave jaillie du chaudron de Vulcain.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 6 octobre au 11 février 2024
Musée d’art moderne de Paris
11, avenue du Président Wilson – 75116 Paris
Du mardi au dimanche, 10h-18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 21h30
Tarif plein : 12€
Tél. 01 53 67 40 00
www.mam.paris.fr


Visuels :
 Dana Schutz, Civil Planning, 2004. Huile sur toile, 289,6 x 4267 cm. Collection privée. Photo L’Agora des Arts.

 Dana Schutz, Presentation, 2005. Huile sur toile, 304,8 x 426,7 cm. The Museum of Moderne Art, New York. Photo L’Agora des Arts.

 Dana Schutz, Mountain Group, 2018. Huile sur toile, 304,8 x 396,2 cm. Collection Marguerite Steed Hoffman. Photo L’Agora des Arts.

 Vue de la salle des sculptures – expo « Dana Schutz, Le monde visible ». Photo L’Agora des Arts.

 Vue de l’exposition « Dana Schutz, Le monde visible ». Avec au centre The Visible World, 2018. Photo L’Agora des Arts.

 Dana Schutz, Boat Group, 2020. Huile sur toile, 231,1 x 304,8 cm. De Ying Foundation. Photo © L’Agora des Arts.