Éminente artiste de l’expressionnisme allemand, Gabriele Münter (Berlin, 1877- Murnau,1962) fait l’objet d’une grande et belle rétrospective au musée d’art moderne de Paris. La découverte de l’œuvre extrêmement personnelle et diverse de cette artiste peu connue en France, cofondatrice des cercles munichois d’avant-garde, notamment du Cavalier Bleu (Blaue Reiter) en 1911, aux côtés de Franz Marc et de Vassily Kandinsky.
Dans ce monde artistique dominé par les hommes, et tandis que Kandinsky qui fut son professeur à l’école moderne de La Phalanx (La Phalange) et son compagnon durant une dizaine d’années adopte le langage de l’abstraction, l’indépendante Gabriele Münter va trouver la manière de peindre qui lui convient. En s’imprégnant de son environnement artistique, mais en trouvant son propre chemin. En avance sur son époque, elle a déjà expérimenté la photographie comme premier champ d’exploration artistique lors d’un séjour dans sa famille américaine au Texas, entre 1898 et 1900, captant et dessinant les paysages visités, laissant émerger les futurs thèmes de prédilection de sa peinture : le paysage, l’enfance, les portraits et le travail. Grande voyageuse, elle poursuit cette quête de dépaysement et de motifs en Tunisie, aux Pays-Bas, en Italie, en Suisse, à Berlin et à Paris ; un séjour parisien qui bouscule sa manière de peindre.
Le style naturaliste de ses débuts, qui a cédé la place à une touche impressionniste, prend un tournant radical à partir de 1908. Son trait se fait plus acerbe, sa touche se libère, ses couleurs explosent de vivacité sous l’influence des fauves Matisse, Delaunay et Derain.
De manière surprenante, en ce début du XXe siècle, ce n’est pas la ville qui se modernise que les membres du Blaue Reiter peignent, mais la nature et les figures dans des compositions d’une grande liberté formelle et chromatique, donnant un sens spirituel aux couleurs, sans volonté d’effet décoratif et sans lien avec la réalité, notamment des couleurs. « On peut croire saisir ainsi le spirituel et, en quelque sorte, représenter l’aura d’une personne, et créer une métaphore, un symbole. Mais l’apparence physique, et notamment le visage, est déjà un symbole », souligne l’artiste. Un état d’esprit que l’on distingue dans son portrait du peintre Jawlensky à la barbe verte (À l’écoute, 1909) ou dans celui de Marianne von Werefkin (affiche) dont les couleurs du visage reflètent le jaune du mur et le mauve de l’écharpe. Rien de réaliste non plus dans ses maisons aux murs peints en bleu, vert ou fuchsia de la Rue de village en hiver (1911), mais de l’enthousiasme pour un motif et comme une luminosité intérieure.
Gabriele Münter s’intéresse à l’art populaire, « qui a ouvert la voie » et aux dessins d’enfants, tous deux considérés comme des expressions authentiques. Elle les collectionne et les réinterprète afin de désapprendre et de renouveler sa pratique artistique. De retour en Allemagne après un exil en Scandinavie entre 1915 et 1920, elle reprend activement le dessin, simplifiant les traits de ses portraits dans une « Nouvelle Objectivité » ancrée dans le réel et la neutralité, reflétant les bouleversements sociaux et politiques causés par la guerre dans la société allemande. Un intermède avant de renouer avec l’Expressionnisme lors de son installation définitive à Murnau en 1931. Les paysages de montagnes, les villages pittoresques et les chantiers de construction constituent les motifs d’une nouvelle radicalité picturale, qu’elle va devoir très vite mettre en sourdine. Obligée de cacher son existence artistique à partir de 1937, après la promulgation de la loi sur la « confiscation des produits de l’art dégénéré », puis poussée au repli durant la guerre, sa peinture va perdre un peu de son audace, sans jamais perdre de sa personnalité, telle cette Route menant aux montagnes (1936) avec ses aplats cernés de noir aux tons des couleurs très adoucis. Ou cet autre paysage de collines sombres ceinturant un lac d’un somptueux et glacial indigo (Le Lac bleu, 1954).
À travers une sélection de 160 œuvres, provenant majoritairement du fonds de l’artiste conservé à Munich, cette exposition (précédemment présentée au musée national Thyssen-Bornemisza à Madrid) fait découvrir toute la richesse et la spontanéité de l’œuvre libre et flamboyante de Gabriele Münter.
Catherine Rigollet