Mais qui donc était Georges de La Tour ? On ne connait ni sa formation, ni comment ce fils de boulanger est devenu peintre, ni son visage, et à peine une quarantaine de tableaux originaux nous est parvenue. Le musée Jacquemart-André en expose une trentaine, tout en replaçant la vie et l’œuvre de ce maitre de la lumière artificielle et de la stylisation des formes dans le contexte du caravagisme triomphant à son époque.
Une chandelle comme seule lumière dans ses tableaux. Voilà l’image qui nous vient d’emblée quand on pense à Georges de La Tour. Chandelle éclairant la tête du Nouveau-Né dans les bras de sa mère, lueur de chandelle peignant d’un blanc intense la chemise de la Madeleine pénitente, flamme ravivée par le Souffleur à la pipe, lanterne projetant un reflet sur le front de Saint Pierre en larmes…Par la seule force de la lumière artificielle d’une petite flamme vacillante, Georges de La Tour transcende un portrait, une scène de la vie domestique, en moment feutré, silencieux, grave, parfois même d’une intense spiritualité. Cette « Flamme d’une chandelle » que le philosophe français Gaston Bachelard, dans son dernier ouvrage en 1961, nous invitait à contempler en solitaire pour réveiller notre conscience de rêveur, Georges de La Tour la peint pour faire émerger la vie des ténèbres avec un regard profondément humain sur le monde.
Après Caravage (2018) et Artemisia Gentileschi (2025), le Musée Jacquemart-André poursuit son exploration des maîtres influencés par la révolution du caravagisme en mettant à l’honneur Georges de La Tour (1593-1652), l’un des grands peintres français du XVIIe siècle dont l’œuvre rare et lumineuse n’avait pas fait l’objet d’une rétrospective en France depuis l’exposition historique au Grand Palais, en 1997. L’art de Georges de La Tour, célébré de son vivant avant d’être oublié après son décès puis redécouvert au XXe siècle, a laissé une empreinte profonde dans l’histoire de l’art par son naturalisme subtil et austère, la composition des volumes qui vont se simplifier jusqu’à l’épure, notamment dans ses œuvres ultimes d’une stylisation aux aplats de couleur presque modernes, comme Le Nouveau-né (vers 1647-1648), Les Joueurs de dés (vers 1640-1652) ou Saint Jean-Baptiste dans le désert (vers 1650). Mais surtout par son jeu sophistiqué des éclairages contrastés. La lumière devenant parfois le sujet même du tableau ; visages, mains ou vêtements s’effaçant au profit d’un message métaphysique porté par la lueur jaillissant des ténèbres. Vanité des séductions charnelles, connaissance intérieure, sagesse, finitude de la vie ? Les options sont nombreuses.
Né à Vic-sur-Seille dans une famille de boulangers, ayant épousé Diane le Nerf, issue d’une famille de la petite noblesse de Lunéville où le couple s’est installé, Georges de La Tour, dont la formation initiale reste méconnue, mène une brillante carrière, travaillant avec son atelier pour de prestigieux mécènes et collectionneurs, comme le duc de Lorraine, le cardinal Richelieu et en tant que peintre ordinaire du roi Louis XIII ; distinction obtenue au cours d’un séjour à Paris en 1639 où il loge au Louvre. Pour satisfaire la demande, La Tour n’hésite pas à reprendre ses propres compositions, parfois de sa main, ou avec l’aide de son atelier, dans une logique de production parfaitement assumée. On connait au moins quatre versions de La Madeleine pénitente (vers 1635-1640), cinq versions du Vielleur à la sacoche (vers 1640), huit copies du Souffleur à la pipe (1646)…Oublié après sa mort, ses œuvres sont dispersées et combien furent détruites dans l’incendie de Lunéville où brûla sans doute son atelier en septembre 1638 ? Sans compter que Georges de La Tour signant et datant rarement ses tableaux, nombre de ceux-ci furent attribués à d’autres peintres (Quentin de La Tour ou Le Nain entre autres) avant que des travaux et les études se multiplient et permettent l’identification d’une production d’une petite centaine de toiles…dont seulement une quarantaine nous est parvenue.
Prêtés par des collections publiques et privées françaises et étrangères, vingt-trois tableaux originaux sont présents dans l’exposition conçue par Gail Feigenbaum et Pierre Curie, auxquels s’ajoutent sept toiles de son atelier. Ils sont complétés par quelques tableaux de contemporains (Jean Le Clerc, Mathieu Le Nain, Trophime Bigot) et des gravures de Jacques Callot et Jacques Bellange -pour leur proximité de thématique du musicien aveugle. Si Le Nouveau-Né (musée des beaux-arts de Rennes), le plus admiré de l’œuvre de La Tour, trône en tête d’affiche de l’exposition, on regrettera l’absence d’autres célébrités : la version de La Madeleine pénitente, dite aussi La Madeleine à la flamme filante (Los Angeles County Museum of Art) ou Le Tricheur (Louvre). Le parcours thématique explore les sujets de prédilection de l’artiste : scènes de genre, figures de saints pénitents, musicien aveugle, effets de lumière artificielle…tout en replaçant sa vie et son œuvre dans le contexte du caravagisme qui s’est diffusé dès les années 1610, bien au-delà de l’Italie.
Toutefois Georges de La Tour n’a pas encore livré tous ses secrets. Le premier est relatif à son enfance et ses années d’apprentissage. Comment en est-il venu à la peinture ? De quand date sa rencontre avec le ténébrisme, car rien ne prouve que Georges de La Tour se soit rendu en Italie. En outre, le peintre n’a réalisé aucun autoportrait…Autant de mystères qui pimentent l’aura de cet artiste sans visage mais qui a porté une attention particulière à ceux qui l’entouraient, transfigurant par la magie d’une flamme des figures de gueux ou de saints, dans un style à la fois ancré dans cette période du caravagisme triomphant et tout à fait personnel par la simplification des formes et l’absence de dramatisation des scènes.
Catherine Rigollet









