Quelle meilleure ville qu’Ostende, cité natale de James Ensor (1860-1949) où il résida toute sa longue vie, pour lancer les célébrations qui lui sont consacrées à l’occasion de sa mort il y a 75 ans. Première exposition « Ensor 2024 », « Rose, Rose, Rose à mes yeux ! » est aussi la première exposition entièrement consacrée aux natures mortes que le peintre a réalisées tout au long de sa carrière et qui représentent un quart de sa production picturale qui totalise 800 paysages, marines, intérieurs, portraits, autoportraits.
Si ses premières natures mortes s’inscrivent encore dans une veine décorative traditionnelle, très vite Ensor se livre à l’expérimentation. Il aime manipuler les objets, notamment coquillages, curiosités, masques et chinoiseries importées d’Extrême-Orient vendus dans le magasin de souvenirs de ses parents à deux pas de la mer, pour composer des natures mortes qui vont peu à peu tendre vers le fantastique. Comme cette nature morte de bouteille, cruche, assiettes et chandeliers dans laquelle il a glissé un Pierrot, un squelette hilare tout de jaune vêtu et des masques (Pierrot et squelette en jaune, 1893). Un renouvellement de son iconographie -et de sa façon de peindre- qui apparait aussi dans ses tableaux de fleurs, dont la facture d’abord classique, comme ces nobles et voluptueuses Roses de 1892, s’enhardit de couleurs de plus en plus pures, de figures grotesques et de masques. Au fil du temps, sa touche devient plus fluide, sa palette s’éclaircit. Si comme pour les Impressionnistes, la lumière est importante dans ses tableaux, c’est à sa façon à lui, en montrant son influence sur les formes, êtres et objets, en les éclairant par une lumière horizontale. « Ensor n’a jamais suivi les règles et a aimé aller à l’encontre de la tradition », souligne Sabine Taevernier, co-commissaire de l’exposition avec Bart Verschaffel.
Quand ses grandes compositions heurtent la critique et ses contemporains, comme sa toile culte L’Entrée du Christ à Bruxelles (1888) qui dénonce les défauts et l’hypocrisie de la riche société bourgeoise et de l’Église catholique, Ensor se remet aux natures mortes qui plaisent. Mais qu’il peigne des fleurs, des crustacés, des choux ou une raie, masques, grotesques et grimaces réapparaissent inexorablement. Pour Ensor, « la nature morte est devenue un pur exercice de style ou le décor baroque et chargé mène la danse et anime un sujet qui en soi devrait être sans vie. L’artiste au contraire la transforme en de petits théâtres frivoles et ludiques », écrit Sabine Taevernier dans le catalogue de l’exposition. « La nature morte est le triomphe de la couleur et de la vie », a d’ailleurs écrit Ensor au collectionneur Edgar Picard, en 1906.
L’exposition ambitionne aussi de contextualiser la trentaine de tableaux d’Ensor, complétée d’une vingtaine de ses dessins, en les confrontant à l’histoire de la nature morte en Belgique entre 1830 et 1930, avec une centaine d’œuvres, de David Emile Joseph de Notter à Magritte, en passant par Anna Boch, Rik Wouters et Spilliaert. On regrette toutefois ce trop-plein d’œuvres d’inégal intérêt pour la compréhension des natures mortes d’Ensor réunies dans une seule salle. Mais quelle salle ! Qui concentre tout le talent, le côté innovateur et l’onirisme de ce maître flamand, fait baron par le roi Léopold en 1929 et devenu enfin célèbre. Elle donne envie de découvrir la suite du programme « Ensor 2004 ». Avant l’exposition « Ensor : rêver à l’infini », en septembre prochain au KMSKA d’Anvers (qui dispose de la plus importante collection d’Ensor au monde), Ostende accueillera plusieurs expositions, notamment dans sa maison de la Vlaanderenstraat – devenue son musée après sa mort. Enrichie d’un espace de documentation et d’interprétation, elle permet de découvrir sa vie et de mieux comprendre son œuvre.
Catherine Rigollet