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Matisse et Derain, les rois du fauvisme

Si le fauvisme, premier courant d’avant-garde du XXe siècle insufflé par Matisse et Derain, suivis par Vlaminck, Braque et d’autres artistes fut bref, le nombre d’œuvres d’art révolutionnaires créées est considérable et leur audace chromatique fascine encore aujourd’hui.

Le fauvisme fascine encore et toujours. Deux expositions le célèbrent en Suisse. Tandis que la Fondation Pierre Gianadda à Martigny raconte « Les Années fauves » au travers d’œuvres issues pour la majorité d’entre elles des collections du musée d’art moderne de la Ville de Paris, le Kunstmuseum de Bâle met l’accent sur l’expérimentation de la couleur à laquelle se sont livrés Matisse et Derain, les deux grands protagonistes du fauvisme historique, vite suivis de Vlaminck, puis de Braque, Dufy, Van Dongen et d’autres artistes dans les années 1904 à 1908, dont quelques rares femmes telles Emily Charmy, Sonia Delaunay et Gabrielle Münter, ou encore Marie Laurencin, un court temps sensible au fauvisme.
Ces jeunes peintres qui appartiennent à des milieux sociaux et artistiques hétérogènes, partagent le même intérêt pour le postimpressionnisme et vont mener de nouvelles stratégies picturales lors de séjours à Collioure, Chatou ou en Normandie. L’exposition révèle aussi le rôle des critiques et du marché de l’art lors de l’apparition et de l’affirmation de ce bref courant artistique, à peine cinq années, mais dont l’importance fut considérable, se diffusa en Europe avec Kandinsky, Münter, Jawlensky… et déboucha sur le cubisme avec Picasso et Braque.

Collioure été 1905

Été 1905, installés dans le petit village de pêcheurs de Collioure, Matisse et Derain embrasent les tons sur leurs toiles, se refusant à restituer à l’identique les couleurs, s’attachant à rendre leurs émotions avec des couleurs pures, non mélangées, à faire de la couleur une nouvelle matière, rompant aussi avec les principes de composition traditionnels, vivant une « épreuve du feu » dont témoigna Derain au soir de sa vie. Mais faisant scandale, tout autant, voire plus que les Impressionnistes à leurs débuts, car ils s’émancipent des conventions, transgressent et donc dérangent. « Pots de peinture jeté à la figure du public », dira le critique Camille Mauclair devant la Femme au chapeau de Matisse exposée dans la fameuse salle VII du Salon d’automne de 1905. « C’est Donatello parmi les fauves », écrira Louis Vauxcelles devant un buste entouré de toiles de Camoin, Derain, Manguin, Marquet et Vlaminck. L’insulte a créé un mouvement qui n’en était pas un. Unissant autour d’une expression porteuse de rage de peindre des artistes dont l’utilisation d’une couleur libérée, explosive et violente est devenue la caractéristique commune. Ils sont toutefois redevables envers des aînés qui ont ouvert la voie. S’ils l’ont dit avec moins de violence, Cézanne, Van Gogh, Gauguin, Signac, Cross et même le vieux Monet ont libéré la touche et commencé à monter le ton, tous proclamant leur volonté de se détacher de l’impressionnisme. Et dans son atelier que fréquenta notamment Manguin, Camoin, Matisse, Marquet et Rouault, Gustave Moreau s’intéressait déjà au symbolisme des lumières colorées jetées par les bijoux.

Les leçons du pointillisme

L’emprunt à Seurat de sa touche divisée et la valeur constructive de la toile laissée vierge va aussi participer à l’expérimentation de ces jeunes peintres. Pas sans échec. Comme chez Matisse qui a tenté dans Luxe, calme et volupté, grande toile peinte à Saint Tropez en 1904, d’associer l’unité picturale de Cézanne au divisionnisme, diluant de fait l’unité. Installé presque à demeure à Collioure à cette époque, Matisse s’intéresse aussi à l’art des enfants, proche du primitivisme. La mode inspire également son travail comme ce portrait de Margot au grand chapeau orné d’une voilette verte (1906),
Derain poursuivra aussi quelques temps les touches pointillistes (Le Port de Collioure, 1905) avant de les abandonner comme dans sa série des vues de Londres et de la Tamise peintes en 1906 à la demande d’Auguste Vollard ; le marchand espérant réaliser un joli coup commercial dans la foulée du succès obtenu par Monet avec sa série sur Londres entre 1900 et 1904. Des toiles loin des atmosphères voilées et brumeuses de Monet, et qui captent la vie londonienne comme Regent Street, 1906). Ou qui rejoignent Turner dans Effets de soleil sur l’eau, Londres, 1906-1907 ; la réalité du paysage, dissoute, nous offrant qu’une explosion lumineuse de couleurs pures embrasant l’eau et le ciel.

Pour témoigner de la diversité des pratiques des fauves, l’exposition fait une belle place aux sculptures, dessins, gravures et céramiques. Elle se clôt avec des œuvres de Picasso (Compotier et fruits, 1908) et Braque (Paysage, 1908) qui inspirés par Cézanne et le fauvisme, mais aussi par la découverte de l’art et des masques africains, jettent les bases du cubisme. Organisée par thématiques (Chatou et Collioure/Normandie et Sud de la France/Natures mortes et scènes familiales/Villes et vie nocturne/Pastorales et Idylles/Contexte international…), le parcours effectue donc des allers et retours dans la chronologie, ce qui peut perturber un peu la compréhension du cheminement artistique des artistes. Bon point en revanche pour les nombreuses photographies, lettres, cartes postales réparties au fil des salles et qui documentent la période. La scénographie aérée, à l’éclairage parfait, met en valeur les quelque 120 œuvres provenant de collections internationales publiques et privées, réunies par les commissaires Arthur Fink, Josef Helfenstein et Claudine Grammont (directrice du musée Matisse de Nice).

Une exposition qui mérite amplement votre venue au Kunstmuseum de Bâle dont les collections abritent un grand nombre de chefs-d’œuvre, notamment dans les lumineuses salles d’Art moderne avec des Picasso, Delaunay, Kokoschka, Giacometti, Franz Marc, Kirchner, Hodler...

Catherine Rigollet

Archives expo en Europe

Infos pratiques

Du 2 septembre au 21 janvier 2024
Kunstmuseum
St. Alban-Graben 8 CH-4010 Basel
Tarif plein : 26 CHF
Du mardi au dimanche : 10h-18h
Nocturne le mercredi jusqu’à 20h
Fermé le lundi
www.kunstmuseumbasel.ch


Visuels :
 Henri Matisse, Luxe, calme et volupté , 1904. Huile sur toile, 98,5 x 118,5 cm. Centre Pompidou, Paris. Photo : L’Agora des Arts, 31 août 2023.
 Henri Matisse, Intérieur à Collioure / La Sieste , 1905. Huile sur toile
60 x 73 cm © Succession H. Matisse / 2023, ProLitteris, Zurich
Sammlung Merzbacher, Zürich.
 André Derain, Le Port de Collioure , 1905. Huile sur carton sur toile
47 x 56 cm © 2023, ProLitteris, Zurich Staatsgalerie, Stuttgart.
 Henri Manguin, La sieste , 1905. Huile sur toile, 89 x 117 cm. Kunstmuseum Bern. Photo : L’Agora des Arts, 31 août 2023.
 Georges Braque, Le Golfe des Lecques / La baie de Saint-Cyr-sur-Mer,
Automne 1907. Huile sur toile, 38 x 46 cm © 2023, ProLitteris, Zurich. Centre Pompidou, Paris Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Bertrand Prévost.
 André Derain, La Tamise et Tower Bridge , 1906. Huile sur toile, 66,5 x 99 cm. Collection privée. Photo : L’Agora des Arts, 31 août 2023.
 Vue de l’exposition avec les six tableaux de Derain peints à Londres en 1906/1907.
 Raoul Dufy, Les Passants , 1906–1907. Huile sur toile, 46 x 55 cm
© 2023, ProLitteris, Zurich Kunstmuseum Basel, prêt permanent d’une collection privée Collection privée, ©2020, Pro Litteris, Zurich.
 Albert Marquet, Affiches à Trouville , 1906. Huile sur toile, 65,1 x 81,3 cm.
National Gallery of Art, Washington, Collection of Mr. and Mrs. John Hay Whitney.
 Auguste Herbin, Une rue à Bastia , 1907. Huile sur toile, 55 x 46 cm. Collection privée, courtesy Galerie Philippe David, Zürich. Photo : L’Agora des Arts, 31 août 2023.