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Sur le motif. Peindre en plein air

Déjà, en 1708, dans son traité Du Paysage, Roger de Piles encourage les artistes à aller peindre sur le motif. Et à la fin du XVIIIe siècle, l’usage de l’esquisse à l’huile en plein air fait partie intégrante de la formation des paysagistes européens. Dans son traité Élémens de perspective (1799/1800), Pierre-Henri de Valenciennes donne à cette peinture en extérieur des lignes directrices qui seront suivies tout au long du XIXe siècle.

À la croisée de la peinture et du dessin, les études sont d’abord de petit format, généralement exécutées sur papier avec pour objectif d’exercer l’œil et la main à saisir les effets fugitifs et changeant de la lumière et des couleurs. Parfois terminées ultérieurement en atelier et marouflées sur toile par la suite, ces études ne sont pas destinées à être exposées ou vendues, mais constituent pour l’artiste des références, une source d’inspiration pour d’autres paysages. En Angleterre, toute une génération de peintres se met à arpenter la campagne, tels Joseph Mallord William Turner et John Constable. Les artistes venus de France, d’Angleterre, d’Allemagne, des Pays-Bas ou du Danemark qui font le voyage en Italie, oublient parfois les monuments et l’Antique pour se promener dans la campagne romaine, à Naples ou Capri croquant tout ce qui s’offre à leurs yeux, avec spontanéité : un arbre (ce motif fondamental), un ciel (insaisissable et changeant), l’eau d’une cascade ou d’une rivière (déconcertante d’incessantes métamorphoses), une pergola (pour l’ombre et les reflets du soleil), une ruine (pour son pittoresque), un toit et ses cheminées (pour sa construction de lignes horizontales et verticales), etc.

En France, l’usage de la peinture en plein air s’est répandu auprès des peintres de l’École de Barbizon. Puis au milieu du XIXe siècle, il connaît un véritable essor grâce à l’apparition des couleurs en tubes. De Pont-Aven à Giverny, de la Côte d’Opale à la Creuse, aller peindre sur le motif devient une évidence pour les paysagistes – impressionnistes en tête- qui n’ont plus à transporter leur lourd et encombrant attirail de peintre de plein air (boîte de peinture, siège pliant, parasol…), si bien illustré par ce peintre installé devant un vaste panorama (Jules Coignet, Vue de Bozen avec un peintre, 1837). On imagine que sa boite de peinture portative ressemblait à celle de Camille Corot que l’on découvre dans l’exposition. Et peut-être lui-aussi avait-il peint des petites pochades dans son couvercle.

La Fondation Custodia a choisi dans sa très riche collection héritée de Frits Lugt une centaine d’études à l’huile, des œuvres que les artistes n’envisageaient sans doute pas d’exposer au moment où elles furent peintes, mais que « leur fraicheur et leur immédiateté rend aujourd’hui infiniment plus séduisantes que l’essentiel de l’œuvre officiel de ces mêmes artistes », considère Ger Luijten, directeur de la Fondation Custodia et co-commissaire de « Sur le motif. Peindre en plein air 1780-1870 ». Une sélection complétée d’études prêtées par la National Gallery of Art de Washington, le Fitzwilliam Museum de Cambridge et une collection particulière.

Le choix judicieux d’un parcours structuré autour des motifs (arbre, rivière, bord de mer, montagne, ruine, toit, fenêtre, nuage…) apporte beaucoup de poésie et fait de cette visite une promenade dans les pas des artistes. Nous nous imaginons à leurs côtés face aux paysages devant lesquels ils se sont assis. L’Anversois Simon Denis (1755-1813), pionnier en la matière, nous offrant un gros plan sur un arbre baigné d’une lumière doré. Le Hambourgeois Christian Morgensten (1805-1867) face aux eaux tumultueuses d’une cascade sur le cours de la Traun, en Bavière. La Versaillaise Louise-Joséphine Sarazin de Belmont (1790-1870 - rare femme à peindre en plein air au XVIIIe siècle) devant Les Cascatelles à Tivoli. Le Parisien Camille Corot (1796-1875) à Rome, face à L’île et le pont de San Bartolomeo. Le Suisse Alexandre Calame (1810-1864) devant un éboulis de rochers près d’un lac. Le Gallois Thomas Jones (1742-1803) au plus près du cratère du Vésuve. L’Anglais John Constable (1776-1837) le nez dans les nuages, etc.

Surtout, poursuivez la visite au sous-sol à la découverte d’un graphiste hors-pair et amoureux de la nature, Charles Donker (né en 1940 à Utrecht, Pays-Bas) dont une grande partie de la production est conservée dans des musées, notamment le Rijksmuseum d’Amsterdam, le Centraal Museum d’Utrecht, mais aussi la Fondation Custodia. Donker a lui aussi succombé aux charmes du plein air et de la création sur le motif. « Je ne sais pas être ailleurs que dehors », confie le dessinateur et graveur, « j’ai besoin de voir le ciel, d’entendre le bruissement des arbres, de regarder les oiseaux voler ou de ressentir le silence absolu de la nature. Je serais affreusement malheureux si je ne pouvais plus sortir. » Au travers d’une centaine de dessins, d’eaux-fortes d’une incroyable finesse de trait (et quelques aquarelles), cet héritier de Dürer nous offre une galerie d’arbres, de coquillages, de crabes, de bois de feuillus et de pins, de buissons dans le vent, de barques au bord de l’eau, de meules de foin et d’oiseaux, comme cette exceptionnelle Chouette hulotte duveteuse (visuel). Là encore, nul besoin d’un complexe pensum pour comprendre l’œuvre. Juste regarder et prendre du plaisir en s’émerveillant du talent de l’artiste à nous en donner.

Catherine Rigollet

Visuels :
*Jules Coignet (Paris 1798-1860 Paris), Vue de Bozen avec un peintre, 1837. Huile sur papier, contrecollé sur toile, 31 x 39 cm. National Gallery of Art, Washington.
*Simon Denis (Anvers 1755-1813 Naples), Arbres devant une vallée. Huile sur toile, 68,8 x 91,1 cm. Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris.
*Baron François Gérard (Rome 1770-1837 Paris), Une étude de vagues se brisant sur des rochers au coucher du soleil. Huile sur carton, 31 x 38,5 cm. Collection particulière.
*Christian Ernst Bernhard Morgenstern (Hambourg 1805-1867 Munich), Chutes de la rivière Traun, Autriche, 1826. Huile sur papier, 28 x 36,4 cm. Fondation Custodia, Collection Fritz Lugt.
*John Constable (East Bergholt 1776-1837 Londres), Étude de nuages : coucher de soleil orageux, 1821-1822. Huile sur papier, contrecollé sur toile, 20,3 x 27,3 cm. National Gallery of Art, Washington.
*Anonyme français, XIXe siècle, Une terrasse sur l’île de Capri. Huile sur papier, contrecollé sur toile, 32,7 x 30,8 cm. Fondation Custodia, Collection Fritz Lugt, Paris.
*Charles Donker (1940, Utrecht, Pays-Bas), Jeune chouette hulotte, 1976. Eau-forte, 238 x 234 cm. Fondation Custodia, Collection Fritz Lugt, Paris.


Chacune des expositions est accompagnée d’un catalogue très complet.
 Sur le motif. Peindre en plein air 1780-1870. Ger Luijten, Mary Morton et Jane Munro (éd.) Londres, Paul Holberton Publishing, 2020. 280 pages, c. 140 illustrations en couleur, 24 x 25,5 cm, relié. 40,00 €.
 Charles Donker. D’abord regarder. Jan Piet Filedt Kok, Ger Luijten, Gijsbert van der Wal. Paris, Fondation Custodia, 2021. 224 pages, 200 illustrations en couleur, 24 x 30 cm, relié, édition française. 34,50 €.

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Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 3 décembre 2021 au 3 avril 2022
Fondation Custodia
Hôtel Lévis-Mirepoix
121 rue de Lille 75007
Tous les jours, sauf lundi
12h – 18h
Tarifs : 10€/7€
www.fondationcustodia.fr