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Vermeer. Les perles de Johannes réunies à Amsterdam

Il n’est pas exagéré de dire que l’exposition est un événement exceptionnel. Réunissant 28 tableaux, le Rijksmuseum présente la plus grande exposition jamais réalisée sur le peintre du siècle d’or néerlandais.

« Un petit pan de mur jaune » défini par un critique « comme une précieuse œuvre d’art chinoise, d’une beauté qui se suffirait à elle-même », et le romancier Bergotte défaille puis meurt au pied du tableau. Cette scène décrite par Proust dans La Prisonnière vient immanquablement à l’esprit lorsque, dans la première salle de l’exposition de 28 toiles de Johannes Vermeer (1632-1675), on est confronté à Vue de Delft, 1660-61, une veduta à la hollandaise, montrant la ville au lever du soleil (il est près de 7h à l’horloge), qui illumine le petit pan de mur...Une composition lumineuse, presque photographique, l’un des deux tableaux du maître dans lesquels il décrit la ville où il vécut, se maria après s’être converti au catholicisme, eut quinze enfants et mourut criblé de dettes. Sur la berge, est-ce la laitière qui bavarde avec une autre commère ? De la ville, dans ses autres toiles, nous ne verrons rien, sinon des fenêtres ouvertes, mais sur quoi ?

Bénéficiant de prêts du monde entier, cette exposition, fruit d’un partenariat entre le Rijksmuseum et le Mauritshuis à La Haye, promet d’être la présentation la plus complète jamais proposée sur Vermeer (plus importante que l’exposition du Louvre en 2017. ). Avec 28 tableaux, elle rassemble plus des deux tiers des œuvres sur les 35 ou 37 aujourd’hui attribuées à Vermeer selon les experts. Le musée d’Amsterdam a élargi le corpus du peintre à 37 numéros, malgré les doutes de certains experts. Il s’agit en premier lieu de La Jeune fille à la flûte (1665–1670) de la National Gallery of Art de Washington, qui venait pourtant d’être désattribuée en octobre dernier par le musée américain à la suite d’un examen scientifique détaillé. L’équipe de conservateurs, de restaurateurs et de scientifiques avait estimé que sa finition grossière était peu conforme à la précision et l’exigence du maître de Delft…
Pour permettre aux visiteurs une véritable « immersion » dans les toiles, le musée offre des cartels remarquables, expliquant les similarités thématiques (les « tronies »), les effets de composition (les repoussoirs), les résonances entre les tableaux (lettres, instruments de musique, vestes jaunes bordées de fourrure, pavements), les implicites références à l’amour (lettre, musique, vin), la peinture floue (qui faisait dire à Daniel Arasse « Vermeer est un peintre fin, qui peint flou ») ou l’usage des points que l’on ne découvre que de très près et qui illuminent l’objet sur lesquels ils ont été posés (la miche de pain de La Laitière, 1658-59).

Place est laissée aux découvertes permises par les technologies actuelles : effacement du surpeint pour laisser voir un tableau de Cupidon sur le mur du fond de La Liseuse à la fenêtre, 1657-58, ou au contraire découverte d’esquisses non abouties dans La Laitière ainsi qu’un panier recouvert de peinture par Vermeer lui-même. Selon une récente biographie signée de Gregor Weber du Rijsksmuseum (publiée le 17 janvier 2023), on apprend aussi que Vermeer aurait eu recours à une chambre noire pour réaliser ses tableaux mondialement connus pour leur précision et l’utilisation de la lumière…

Si, à ses débuts, l’artiste peint divers personnages dans un contexte non identifié (Le Christ dans la maison de Marthe et Marie, 1654-55 ou Diane et ses compagnes, 1655-56), il abandonne ces mises en scène pour explorer la lumière et ses effets caressants, le mouvement suspendu, le monologue ou le dialogue silencieux que l’on peut imaginer à loisir. Plaçant ses personnages dans un contexte qui les définit, telle La liseuse à la fenêtre, ou encore La laitière, les entourant d’objets familiers venus de chez lui (meubles, pichets, bijoux peut-être), et nous amenant au plus près de son sujet, il fait de nous des protagonistes de la scène.
Quelques toiles plus loin, nous ne sommes plus que des spectateurs, tenus à distance des musiciens par un rideau, un tapis, un dos de chaise. Et dans le silence de la toile, nous croyons entendre les notes s’échapper du virginal (sorte de clavecin). Car là se trouve l’immense talent de Vermeer : nous laisser croire que nous voyons l’invisible, entendons l’inaudible, percevons le mouvement imperceptible, et sommes les témoins de scènes de séduction indécelables.
Une mention spéciale aux « tronies », ces portraits, qui ne se veulent pas portraits mais études, de femmes anonymes que le peintre charge d’une sensualité quasi enfantine, avec leurs regards coulants, leurs lèvres luisantes et entr’ouvertes, leurs joues rosies par l’émotion, la plus connue étant La jeune fille à la perle, 1664-67, visage parfait sur fond noir probablement sorti de l’imagination du peintre. Le Géographe, 1669 fait entrer le monde entier, représenté par le globe terrestre, dans l’intimité de celui qui l’étudie mais il est ici privé de son binôme, L’Astronome, 1668 (et sa sphère céleste) en ce moment au Louvre d’Abu Dhabi, prêté par le Louvre parisien.
Catholique converti depuis son mariage, peut-être influencé par des jésuites, Vermeer peint plusieurs œuvres où scintillent les bijoux. Les experts y devinent des allégories, qui ne disent pas leur nom, et font référence à la vanité des possessions, ou à l’ombre du matérialisme qui occulte la lumière divine (La femme à la balance, 1662-64).

Vermeer s’aventure peu hors de la peinture de genre ; l’histoire, l’actualité, la vie dans la ville ne l’inspirent pas. Il peint peu, satisfait les demandes de quelques riches acquéreurs, mais sa réputation ne s’étend pas. Il sortira de l’oubli grâce à un historien de l’art français, séduit par La vue de Delft, à la fin du 19e siècle. Aujourd’hui, sa laitière figurant sur des produits laitiers de grande consommation, est tombée dans le domaine public ! Il n’empêche que ses ambiances sereines, soit ponctuées de gestes banals et quotidiens, soit lourdes de secrets et d’émotions refoulées, continuent à nous séduire. Un éloge de la quiétude qui offre une pause bienvenue dans notre siècle trépidant.

Elisabeth Hopkins

Archives expo en Europe

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 10 février au 4 juin 2023
Rijksmuseum
Museumstraat 1 - Amsterdam
Ouvert tous les jours de 10h à 17h
Entrée 30 €
Gratuité pour les moins de 18 ans
Nocturnes jusqu’à 22h les jeudi, vendredi, samedi
https://www.rijksmuseum.nl/fr


Pour ceux qui ne pourront se rendre à Amsterdam, le musée offre une visite virtuelle (et enlevée) sur son site, en anglais, sous l’égide de Stephen Fry, écrivain et humoriste britannique.
https://www.rijksmuseum.nl/en/johannes-vermeer/


 À voir à LA HAYE : Vrel, précurseur de Vermeer : du 16 février au 29 mai 2023.
Presque tout le monde connaît les intérieurs calmes de Johannes Vermeer et cette petite rue qu’il a peinte, mais peu de gens savent que l’artiste Jacobus Vrel (actif vers 1654-1662) produisait déjà des scènes de ce genre avant Vermeer. L’exposition raconte comment Vrel a été redécouvert au 19e et au début du 20e siècle à l’aide d’une sélection de ses plus belles œuvres. https://www.mauritshuis.nl/fr/activites-actuelles/expositions/jacobus-vrel/
Cette exposition sera ensuite présentée à Paris, Fondation Custodia, du 17 Juin au 17 septembre 2023.


Visuels :
 Johannes Vermeer, Girl Reading a Letter at an Open Window (La Liseuse à la fenêtre), 1657-58, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresden.
 Johannes Vermeer, View of Houses in Delft, known as ‘The Little Street’ (La Ruelle), 1658-1659, Rijksmuseum, Amsterdam. Don de H.W.A. Deterding, London © Rijksmuseum, Amsterdam.
 Johannes Vermeer, View of Delft (Vue de Delft), 1660-1661, Mauritshuis, La Haye © Mauritshuis, La Haye.
 Johannes Vermeer, Woman Holding a Balance, (Femme à la balance), 1662-1665, 42 cm x 38 cm, National Gallery of Art, Washington. ©Rijksmuseum.