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Yan Pei-Ming face au Retable d’Issenheim

En écho au célèbre Retable d’Issenheim, chef-d’œuvre de ses collections, le musée Unterlinden raconte la vie et l’oeuvre de l’artiste Yan Pei-Ming, peintre contemporain mondialement reconnu pour ses tableaux XXL, souvent monochromes, brossés à large coups de pinceaux, dont l’esprit et le travail coïncident avec les thèmes de la filiation, du sacré et du sacrifice, traités par Grünewald cinq siècles plus tôt.

Né à Shanghai en 1960, Yan Pei-Ming a grandi dans le culte de Mao en pleine Révolution culturelle. Il quitte la Chine en 1980, à l’âge de dix-neuf ans, pour poursuivre sa formation en France. Admis à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Dijon en 1981 (ville dans laquelle il continue de vivre), il en ressort diplômé cinq ans plus tard. Il rencontre très vite le succès grâce à ses portraits aux formats monumentaux, réalisés en une ou deux couleurs seulement, du noir au blanc en passant par le gris et surtout ce violent vermillon qui accentue la dramaturgie. Ce sont souvent des figures de pouvoir (« cet exercice provisoire »), tel Mao. Mais aussi son propre père et lui-même dans des dizaines de tableaux, brossés à larges coups de pinceaux expressifs. Sa participation à la Biennale de Venise en 2003 le consacre sur la scène internationale. Six ans plus tard, le Louvre l’accueille pour une confrontation avec La Joconde déclinée dans une suite de tableaux intitulée Les Funérailles de Monna Lisa (2009).

Il se mesurera à d’autres œuvres des maîtres du passé, comme avec un hommage au Christ mort d’Andrea Mantegna, La Mort de Marat de Jacques-Louis David ou encore Le martyr de Saint Matthieu (2015), réinterprétation du Caravage (https://lagoradesarts.fr/-Yan-Pei-Ming-Dating-.html).
Grand admirateur de Courbet, il lui rend un hommage monumental en 2019 à l’occasion du bicentenaire de la naissance de l’artiste avec une quinzaine d’œuvres dont un immense triptyque, Un enterrement à Shanghai (Montagne céleste, Ma Mère, l’Adieu). Il s’agit en l’occurrence des funérailles de sa propre mère, tableau inspiré directement d’Un enterrement à Ornans, chef-d’œuvre du réalisme peint par Courbet. Deux histoires personnelles et universelles. Des histoires de souffrance, de mort, de disparition, de violence...qui parlent de la condition humaine. Des thèmes, souvent convoqués par Yan Pei-Ming, qui témoignent de ses émotions intimes face à sa propre vie et à l’actualité du monde. Ainsi son tableau sur le 11 septembre (September, 11th 2001), celui relatif à l’explosion de Fukushima (Fukushima, 11 mars 2011). Mais aussi ce tableau de femmes voilées (Femmes invisibles), ces Pleurants évoquant ceux des cénotaphes des ducs de Bourgogne à Dijon ou encore L’Exécution, en mémoire du Très de Mayo (1814) de Goya.

La rétrospective que lui offre le musée Unterlinden de Colmar parcourt quatre décennies de la carrière de Yan Pei-Ming, depuis des dessins de jeunesse réalisés à la fin des années 1970 et au début des années 1980, jusqu’à des tableaux majeurs répartis en six sections chrono-thématiques (Mao, Le Père, Bouddha, L’Homme de Shanghai, Paysage international et Autoportraits). Émerge notamment l’imposant triptyque Nom d’un chien ! Un jour parfait (2012), représentation en pied de Yan Pei-Ming, frontale, verticale, très christique.
En 2020, l’arrivée du coronavirus a bouleversé l’inspiration de l’artiste qui a voulu créer une peinture à la hauteur de la situation. Une œuvre qui résonne en adéquation avec l’esprit et les thèmes de la filiation, du sacré et du sacrifice, traités par Grünewald cinq siècles plus tôt dans son célèbre Retable d’Issenheim, chef-d’œuvre des collections du musée Unterlinden (https://lagoradesarts.fr/-Unterlinden-et-le-retable-d-Issenheim-.html).
Le parcours se clôt donc avec Pandémie (2020) une œuvre inédite de l’artiste, créée spécifiquement pour l’exposition du Musée Unterlinden. Comme l’a fait Otto Dix avant lui (https://lagoradesarts.fr/-Otto-Dix-Le-Retable-d-Issenheim-.html) Yan Pei-Ming se saisit du thème du sacrifice traité par Grünewald et reprend la composition monumentale du Retable d’Issenheim avec une allusion directe à ce mal des ardents (ou maladie de l’ergot) qui fit de terribles ravages pendant le Moyen-Age et encore au cours des temps modernes. Le spectateur est invité à s’identifier aux personnages de l’œuvre de Pei-Ming confrontés à l’épidémie de Covid-19 dans cette transposition contemporaine du « Golgotha médiéval ». Une peinture saisissante, projetant le spectateur au cœur de la composition dans laquelle l’artiste lui-même se met en scène, une pelle à la main tel un fossoyeur. Une peinture dramatiquement intemporelle, universelle et qui aurait pu traverser tous les siècles. « Elle parlera à tous ceux qui ont vécu cette pandémie et témoignera de cette période aux générations futures. Je pense que le spectateur ne sortira pas indemne de cette exposition. C’est la force de la peinture", conclut Yan Pei-Ming. Une lumière traverse toutefois son tableau. L’artiste nous offre une lueur d’espoir.

Catherine Rigollet

Archives expo en France

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 19 mai au 6 septembre 2021
PROLONGATION JUSQU’AU 11 OCTOBRE
Musée Unterlinden
Place Unterlinden – 68000 Colmar
Tél. +33 (0)3 89 20 15 50
Du lundi au dimanche de 9h à 18h
Fermé le mardi
Tarif plein : 13€
www.musee-unterlinden.com


Présentation de l’exposition par la commissaire Frédérique Goerig-Hergott : https://www.youtube.com/watch?v=J54wjFW963k


Visuels : L’homme le plus perspicace, père de l’artiste, 1996, huile sur toile, 200 x 235 cm – Collection particulière, Belgique / Photographie : André Morin © Yan Pei-Ming, ADAGP, Paris, 2020.
Vue de l’expo à Colmar, salle des Mao. © DR
Nom d’un chien ! Un jour parfait, 2012, triptyque, huile sur toile, 400 x 280 cm/toile
Collection particulière, France. Photographie : André Morin © Yan Pei-Ming, ADAGP, Paris, 2020.
Yan Pei-Ming devant son œuvre Pandémie (2020) à Colmar © DR