Du trash de sa meute de loups en moutons de poussière, au raffinement du dessin et des coloris proche du maniérisme de ses peintures animalières, Lionel Sabatté est capable du grand écart, sans pour autant dévier de sa ligne. Se faisant chasseur-cueilleur de traces afin de réunir le matériau de son œuvre, il s’intéresse au vivant et à sa régénération perpétuelle. Ainsi, à partir des kilos de poussières récoltés dans le métro, ces résidus de vies laissés par les milliers de voyageurs se croisant chaque jour à la station Châtelet-Les Halles, il a réalisé des grandes sculptures de loups d’un expressionnisme saisissant, jouant sur l’ambivalence du matériau (doux/répugnant) et du sens (mouton/loup). S’amusant aussi avec nos émotions, entre répulsion et désir ; un art lourd de symboles qui porte l’influence de Vladimir Velickovic, dont il fut l’élève.
Avec des rognures d’ongles et des peaux de pied (ceux de son ex-petite amie et aujourd’hui les siens), il façonne avec patience et virtuosité des insectes miniatures, précieux et nacrés, qui font entrer le spectateur dans la sphère intime de l’artiste... et font aussi un joli pied de nez à nos préjugés. Certes la réappropriation des déchets dans l’art n’est pas nouvelle. César a compressé des carcasses de voitures, Daniel Spoerri a utilisé des reliefs de repas dans ses Tableaux-pièges, Mirabelle Roosenburg crée des natures mortes avec des épluchures de légumes qu’elle photographie ensuite, etc. Loin des préoccupations environnementales ou consuméristes, sans aucune morbidité mais au contraire avec une approche sensible du vivant, un rapport à la matière empreint de « pensée magique » et un imaginaire fertile, Lionel Sabatté interroge le temps qui passe, la mutation des choses, l’évanescence des formes.
Dans ses dernières œuvres, il peint la fumée qui comme la poussière est insaisissable et de forme changeante. Il a surtout entrepris de dessiner un fabuleux bestiaire à la fois mythologique et scientifique. À l’acrylique, il ajoute une solution de fer qui mêlée à de l’oxygène liquide accélère le processus de rouille et donne de luxueuses nuances de bronze. Il joue avec les transparences et se sert des accidents d’une tache pour composer une nouvelle image, comme cette tête de diable sur la croupe d’un lièvre, métamorphosant le petit herbivore en toile pour un nouveau tableau, telle une mise en abyme. Mêlant dans son panthéon animal le naturel et le mythique, Lionel Sabatté déforme les corps comme si le relief bosselé de la paroi d’une grotte lui avait servi de feuille. Un clin d’œil appuyé de l’artiste à l’art pariétal qui fut la première représentation du vivant.
Catherine Rigollet (Avril 2012)
Portraits de Lionel Sabatté ©Lionel Pagès 2012 pour l’Agora des Arts.
Visuels des oeuvres : Courtesy Galerie Patricia Dorfmann, Paris.