Il n’y a pas que des expositions d’artistes disparus ces temps-ci à Paris ! Le Musée d’art moderne de Paris a misé sur la vivacité de créateurs vivants en associant à l’artiste américain George Condo (1957) la Nigériane Otobong Nkanga, née en 1974 et qui vit aujourd’hui à Anvers. Les deux artistes ont d’ailleurs en commun d’avoir Paris au cœur, l’une pour avoir été formée en partie dans son École des Beaux-Arts, l’autre pour y avoir vécu entre 1985 et 1995.
Dernier survivant des trois « enfants terribles » de l’art américain des années quatre-vingt, avec Jean-Michel Basquiat (1960-1988) et Keith Haring (1958-1990) dont il fut proche, George Condo voit le Musée d’art moderne lui consacrer une rétrospective thématique après celles de ses amis décédés, Basquiat en 2010 et Haring en 2013. L’artiste a largement participé au choix des thèmes (*), des œuvres (110 dessins, 80 peintures et 20 sculptures) et des accrochages. L’exposition se présente comme une suite de cycles et de thématiques qui montre de façon convaincante quatre décennies d’une démarche artistique de grandes ampleur et diversité en trois étapes principales : son rapport à l’histoire de l’art, son traitement de la figure humaine et son lien à l’abstraction.
Ce qui frappe d’emblée, après le vestibule de l’exposition où les repères biographiques de Condo voisinent avec Poème d’amour (Green), une œuvre de jeunesse (1985) « surréalisante », c’est sa façon d’avoir digéré une grande partie de l’art occidental, des maîtres anciens à Picasso en passant par Rembrandt, Goya, Picabia et même Dali jusqu’à l’utilisation de l’art du collage et du graffiti tel que pratiqué par les écrivains de la Beat Generation ou ses amis Basquiat et Haring, pour en faire sa propre symphonie.
Edith Devaney, la co-commissaire de l’exposition avec Jean-Baptiste Delorme, voit Condo dans le catalogue (Éditions Paris Musées, 272 pages, 45€) comme « un artiste en prise avec la culture de son temps qui réinventait sa relation avec l’ensemble de l’art européen sans craindre de présenter ces deux perspectives extrêmement différentes au sein d’une même composition. »
Fabrice Hergott, directeur du Musée d’art moderne et auteur de l’introduction du catalogue, précise que la configuration de l’exposition a été conçue en relation étroite avec la pratique de l’artiste qui est d’« exprimer et fusionner dans son travail à la fois une pensée conceptuelle et de vastes connaissances en histoire de l’art, tout en tissant harmonieusement un imaginaire très personnel à travers abstraction et figuration. »
Au-delà des mots et des analyses, le plaisir est de vagabonder dans l’univers coloré de Condo, un monde joyeux ou tourmenté, non dénué d’humour et de facétie, qui dissèque l’Homme et sa condition, son psychisme et son paraître. Il a même créé des êtres de fiction qu’il a nommés « humanoïdes ». On s’attardera sur la centaine de dessins et estampes qui donnent à voir l’attachement de Condo à ces techniques. Dans la série des Drawing Paintings, il mêle même dessin et peinture dans une même œuvre, signifiant leur importance égale. Les toiles en expansion (Expanding Canvases) forment une importante série de ses débuts où Condo invente sa propre abstraction entre cubisme et expressionnisme abstrait, au rythme de l’improvisation du jazz qu’il a toujours aimé (Dancing to Miles). Enfin, on reste soufflé par ses grandes compositions monochromes en blanc, en bleu et en noir, paysages mentaux et visions de l’enfer. Pour finir par des Cascades diagonales de couleurs et de formes, série la plus récente guère plus optimiste sur l’espèce humaine et ses rapports au monde ! Dans le grand chaudron de son imaginaire mêlé de références détournées, on ne peut que se réjouir de la totale liberté de peindre de Condo.
Jean-Michel Masqué






