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Johan Creten. Bestiarium : des bêtes faussement naïves

Une monumentale chauve-souris en bronze, les ailes déployées de manière menaçante trône dans le jardin de La Piscine à Roubaix. Réalisée avant la pandémie mondiale, comme prémonitoire du danger à venir, De Vleermuis / La chauve-souris, 2019) est une œuvre au sens symbolique qui peut être lue d’une manière plus ludique quand on apprend qu’elle a été imaginée par l’artiste belge Johan Creten (né en 1963) pour être chevauchée et même pour servir de fontaine.
Cette ambivalence du sens se retrouve dans le nouveau bestiaire utopique que l’artiste a imaginé et réalisé de 2019 à 2022. Ce « Bestiarium », telle une arche de Noé, réunit : mouton, chien, hippocampe, escargot, lièvre, mouche, araignée, sauterelle, castor, pélican, sanglier, hérisson…tous entièrement modelés en céramique émaillée aux glaçures souvent kitsch évoquant les poteries de Vallauris des années 1960.

Considéré comme un précurseur du renouveau de la céramique dans l’art contemporain, aux côtés de Thomas Schütte et Lucio Fontana, Creten a commencé à travailler avec de l’argile à la fin des années 1980, lorsque le médium était encore considéré comme tabou dans le monde de l’art contemporain. Ses animaux sont bien loin du naturalisme. Creten n’est pas un sculpteur animalier, même s’il a commencé à représenter des animaux dès 1976. Faussement naïves, terriblement humaines et souvent étranges ou inquiétantes, ses créatures chargées de symbolisme questionnent notre regard, invitant à une grande liberté d’interprétation, à l’instar de cette grosse mouche noire, couchée sur le dos, semblant nous regarder avec effroi de ses gros yeux globuleux, les deux bras le long du corps, les deux jambes remontées sur son abdomen gonflée, dans une étrange posture de parturiente. Morte la mouche dit toutefois le cartel de l’œuvre. Morts aussi le chien et l’araignée, « toxique » le castor, « sale » le sanglier…

Malgré ses couleurs souvent acidulées, trompeuses, le bestiaire désenchanté de Creten résonne comme une nature morte. Une vanité montrant la précarité de la vie.

Travaillant de façon itinérante du Mexique à Rome, de Miami à La Haye et à Paris où il est « basé », Johan Creten a notamment exposé dans les salles Renaissance du Louvre en dialogue avec Bernard Palissy, au Bass Museum of Art de Miami, à la Biennale d’Istanbul, au MAMCO de Genève, au Middelheim Museum, à Anvers et en 2020, la Villa Médicis à Rome lui a consacré une exposition personnelle. À La Piscine de Roubaix, Creten présente, outre dix-sept bêtes du Bestiarium, soixante bas-reliefs en céramique de la série C’est dans ma nature (2001). Assez méconnue, cette œuvre plus politique est issue d’un projet réalisé en concertation avec des collégiens d’Aulnay-sous-Bois ; chaque bas-relief représentant des animaux (inspirés par la fable Le scorpion et la grenouille), était destiné à combler des trous dans les façades abimées des immeubles. Le projet n’ayant pu être concrétisé, Johan Creten a intégré les reliefs dans des parois en fausses briques qui furent exposées dans la ville. Véhiculant ce message d’espoir suggérant que l’art peut faire bouger les choses dans les cités.

Catherine Rigollet

Archives expo en France

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 12 mars au 29 mai 2022
La Piscine
23, rue de l’Espérance - 59100 Roubaix
Mardi – jeudi : 11h-18h
Nocturne le vendredi jusqu’à 20h
Samedi et dimanche : 13h-18h
Tarif plein : 11€
Tél. 03 20 69 23 60
www.roubaix-lapiscine.com


 Catalogue richement illustré, Ed. Gallimard. 35€


Visuels :

 Le Hérisson et les glands, 2019-2021. Œuvre sculptée dans du grès blanc chamotté, évidée et réassemblée sur un plateau en grès. Cuissons multiples à hautes températures dans un four à gaz. Émail « Solfatara » et émail « Aventurin ». 65 x 118 x 62 cm. 190 kilos. Œuvre unique et inédite.
 La mouche morte, 2019-2021. Œuvre sculptée dans du grès blanc chamotté, évidée et réassemblée sur un plateau en grès. Cuissons multiples à hautes températures dans un four à gaz. Émaux métalliques et émail « Solfatara ». Quelques petites fissures de cuisson. 69 x 119 x 63 cm. 180 kilos. Œuvre unique et inédite.
 C’est dans ma nature (2001-2021). Détail d’un panneau de fausses briques portant des bas-reliefs.
 Le Sanglier sale, 2019-2021. Œuvre sculptée dans du grès blanc chamotté, évidée et réassemblée sur un plateau en grès. Cuissons multiples à hautes températures dans un four à gaz. Émaux métallisés et émail « de lave ». 84 x 118 x 70 cm. 160 kilos. Œuvre unique et inédite.
Photos L’Agora des Arts.


À voir aussi à La Piscine, jusqu’au 29 mai 2022 :
Boris Taslitzky. L’art en prise avec son temps.