Krohg. Peintre humaniste danois

Avec Christian Krohg, le musée d’Orsay clôt une passionnante trilogie consacrée à l’art norvégien du tournant du XXe siècle entamée avec Edvard Munch (qui fut élève de Krohg) et Harriet Backer.
Bohème et fervent défenseur des causes politiques et sociales de son époque, Krohg, également écrivain et journaliste engagé, a dépeint avec une profonde empathie la condition du peuple scandinave, le monde du travail, la misère, ainsi que les injustices subies par les femmes. S’inscrivant dans le sillage du naturalisme nordique incarné notamment par le dramaturge Ibsen, l’art pour Krohg doit toucher le spectateur et susciter son empathie. Et il y réussit avec un réalisme saisissant dans ses tableaux montrant la population vulnérable des précaires. Comme ces femmes et enfants faisant la queue sous la neige pour obtenir du pain lors d’une distribution alimentaire dans une rue de Kristiania, la capitale (La Lutte pour l’existence). Ou ses portraits de femmes poussées à la prostitution à l’instar de cette Albertine qu’il érige en symbole de l’implacable déterminisme social, à la manière d’un Courbet dont il a découvert le travail lors d’un premier séjour d’un an à Paris, en 1881-1882 (Albertine dans la salle d’attente du médecin de police).

L’INFLUENCE IMPRESSIONNISTE

Durablement marqué par la peinture française, Krohg a aussi retenu la leçon des impressionnistes Manet et Caillebotte pour composer dans une palette lumineuse et des touches libres, d’audacieux cadrages proches de l’instantané en photographie. Comme sur cette toile d’un rameur (Attention devant !), évoquant La Partie de bateau de Caillebotte, dont le cadrage immersif donne l’illusion au spectateur d‘être assis dans la barque. Sa série sur les marins est de ce point de vue la plus remarquable avec notamment ce marin en ciré jaune à la barre de son voilier, le regard inquiet tourné vers ce que lui seul voit hors champ La Barre sous le vent !. Et cette énorme bouée de sauvetage blanche qu’un homme s’apprête à lancer dans la mer, suggérant qu’un homme est tombé à l’eau (Un homme à la mer !).
Avec son espace pictural peu profond, Krohg nous donne toujours à voir ses personnages dans une grande proximité. Qu’il s’agisse de cette femme assoupie à côté de sa machine à coudre, la lampe encore allumée, épuisée par une nuit de travail (il a réalisé toute une série de couturières endormies pour témoigner de la pénibilité de certains petits métiers pour survivre). Ou des membres de sa propre famille, dans des scènes intimes empreintes de la même tendresse : une mère tressant les cheveux de sa fille, une autre au chevet de son enfant. Des atmosphères évoquant des œuvres de Jean-François Millet, mais aussi la peinture hollandaise prisée des artistes de Skagen. Ce village, situé à la pointe du Jutland, renommé aujourd’hui pour le mouvement pictural naturaliste et « atmosphérique » qui avait rassemblé à la fin du 19e siècle une colonie d’artistes danois et norvégiens, inspira à Krohg, qui y séjourna au début de sa carrière, sa série emblématique sur les marins pêcheurs.

Une belle exposition qui révèle la profonde humanité de ce « Zola norvégien » qui dans une grande modernité picturale a su dépeindre la condition du peuple scandinave au tournant du XXe siècle.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 25 mars au 27 juillet 2025
Musée d’Orsay
Tous les jours, sauf lundi, 9h30 – 18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 21h45
Tarifs : 16€/13€
www.musee-orsay.fr


 A voir aussi au musée d’Orsay jusqu’au 6 juillet 2025 : « L’art est dans la rue », une exposition de 300 œuvres qui interrogent l’essor spectaculaire de l’affiche illustrée à Paris, dans la seconde moitié du XIXe siècle. lire notre article.


Visuels :

 Christian Krohg, Attention devant ! Le port de Bergen. Huile sur toile, 62,5 x 86 cm. Oslo, Nasjonalmuseet. Photo L’Agora des Arts.

 Christian Krohg, Autoportrait (le 1er peint par l’artiste), 1883. Huile sur toile, 47,5 x 36 cm. Oslo, Nasjonalmuseet. Photo L’Agora des Arts.

 Christian Krohg, La Lutte pour l’existence, 1889 (et détail). Huile sur toile, 300,7 x 226, 2 cm. Oslo Nasjonalmuseet. Photo L’Agora des Arts.

 Christian Krohg, La couturière, 1881. Huile sur toile. Göteborg. Konstmuseum. Photo L’Agora des Arts.

 Christian Krohg, La barre sous le vent ! 1882, huile sur toile, 50 x 60 cm, Nasjonalmuseet, Oslo. Photo L’Agora des Arts.

 Christian Krohg, Un homme à la mer, 1906. Huile sur toile, 120 x 140 cm. Stockholm nationalmuseum. Photo L’Agora des Arts.