La Fondation Cartier célèbre les 40 ans de sa collection et son nouveau site

Inaugurée le 20 octobre 1984 à Jouy-en-Josas, puis transplantée en 1994 au 261 boulevard Raspail à Paris, dans le grand bâtiment en verre dessiné par Jean Nouvel, la Fondation Cartier pour l’art contemporain vient de le quitter pour prendre ses nouveaux quartiers Place du Palais Royal, dans l’immeuble haussmannien de 1855 ayant abrité le Grand Hôtel du Louvre (1855-1887), puis les Grands Magasins du Louvre (1887-1974) et enfin le Louvre des Antiquaires (1978-2019). Si la façade a été préservée, le même Jean Nouvel a entièrement transformé l’espace intérieur en cinq plateaux d’acier modulables grâce à un système de levage par câbles et poulies. Pour l’ouverture, 600 œuvres de plus de 100 artistes ont été sélectionnées sur les plus de 4500 œuvres de 500 artistes de 50 nationalités différentes que possède la Fondation Cartier.

Si l’espace théorique est au total immense (6 500 m2), pouvant accueillir de nombreuses et imposantes œuvres, si cet aménagement transformable est très astucieux, on est finalement surpris par le manque de lumière naturelle et, dans la configuration de cette première exposition, par l’exiguïté des coursives en alvéoles encadrant l’espace central, certes propices à l’accrochage de petites œuvres, mais formant un dédale étriqué. Et on regrette un peu les immenses baies vitrées de l’ancien bâtiment du boulevard Raspail.

Cartographie de la création contemporaine

Reflet de la diversité des engagements artistiques portés par l’institution, l’Exposition Générale célèbre l’ouverture en esquissant « une cartographie de la création contemporaine », associant peintures, sculptures, installations, sons, photographies, vidéos, design et architectures autour de quatre grands ensembles thématiques.
Dans la première salle, Machines d’architecture se veut un laboratoire architectural éphémère à travers des « anti-monuments » et des projets utopiques qui questionnent le rôle social de l’architecture. Telle cette église miniature et multi-religions d’Alessandro Mendini dans laquelle trône une idole dorée (Petite cathédrale, 2002). Ou la ville utopique imaginée (en maquette) par le Congolais Bodys Isek Kingelez pour le Kinshasa du troisième millénaire.

Être nature constitue une réflexion sur les mondes vivants et leur préservation et fait entrer la forêt et les chants d’oiseaux dans le bâtiment avec en œuvre majeure un arbre de l’artiste brésilienne Solange Pessoa, confectionné avec des milliers de plumes de poulet (Miracéus, 2004). Tout autour se mêlent : les Brise-lames totémiques de Raymond Hains (Brise-lames de Saint-Malo, plage du Sillon, 1994), des photographies de paysages de l’Ouest américains dévastés par la croissance industrielle prises par Robert Adams ou encore des empreintes d’écorce frottées sur papier par Giuseppe Penone (Il Verde del Bosco, 1988).

Making Things, l’espace d’expérimentation des matériaux et des techniques, accueille le monumental Muro en rojos (1982) de la colombienne Olga de Amaral, une tenture de 7 mètres sur 8 mètres constituée de bandes rectangulaires tissées en laine et crin de cheval, cousues une à une sur un support en coton, évoquant les briques des maisons colombiennes ou un lit de feuilles mortes (récemment exposée du 12 octobre au 16 mars 2025 dans l’ancien site de la fondation Cartier.). Elle fait face à des pièces de poterie figuratives et satiriques de Virgil Ortiz, réinterprétations des traditionnels monos du Nouveau-Mexique. Sur la mezzanine : une peinture de Fabrice Hyber et Sheroanawe Hakihiiwe (Sans titre, 2023).

Un monde réel explore les relations entre science, fiction et création artistique et rassemble des récits liés au progrès, à l’astronomie, aux imaginaires dystopiques et techniques, tel ce sous-marin aussi poétique qu’inutilisable de l’artiste belge Panamarenko (Panama, Spitzbergen, Nova Zemblaya,1996). Ou Tracing Falling Sky (2020) de Sarah Sze, une installation qui explore la manière dont la prolifération des images numériques a modifié notre rapport au temps, à la mémoire et aux choses.

Un déroutant trop-plein

Si dans ce grand album-souvenir, on a plaisir à (re)découvrir quelques pépites de la collection présentées au fil des expositions de la Fondation et lors de « Mémoires vives », la rétrospective des 30 ans concoctée en 2014 par Hervé Chandès qui dirigeait alors la fondation Cartier, une sensation de trop-plein et d’errement s’immisce. La faute sans doute à ces quatre thématiques floues qui finalement s’entrecroisent et que les commissaires ont en outre complété en périphérie d’œuvres très hétéroclites d’artistes phares de la collection (Malik Sidibé, Ron Mueck, Chéri Samba, Damien Hirst, William Eggleston, Joan Mitchell…) qui ne rentraient dans aucun des quatre tiroirs de la pensée.

On attend avec curiosité la prochaine exposition -monographique cette fois- consacrée à l’automne 2026 à l’artiste Ibrahim Mahama (né en 1987) qui investira la totalité des nouveaux espaces avec ses installations monumentales, réalisées à partir de matériaux collectés, d’archives ou de patrimoine industriel abandonné, qui interrogent l’histoire coloniale et postcoloniale du Ghana.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 25 octobre 2025 au 23 août 2026
Fondation Cartier pour l’art contemporain
2, Place du Palais-Royal - Paris 75001
Du mardi au dimanche, de 11h à 20h
Nocturne le mardi jusqu’à 22h
Plein tarif : 15€
https://www.fondationcartier.com


Visuels :

 Vue de l’espace « Machines d’architecture », avec à gauche : Alessandro Mendini, Petite Cathédrale, 2002. Bois, métal, mosaïque et pâte de verre, rosace en verre, parfum, son. Réalisée en association avec Bisazza pour les mosaïques et avec Mimmo Rotella pour la rosace.
Au centre : Alessandro Mendini : OMG !, 2014, mur coloré en bois aux formes géométriques, destiné à accueillir le tableau de Peter Halley, Code Warrior, 1997. Au fond : Bodys Isek Kingelez, Projet pour le Kinshasa du troisième millénaire (détail), 1997. Photo L’Agora des Arts.

 Bodys Isek Kingelez, Projet pour le Kinshasa du troisième millénaire (détail), 1997. Bois, carton, carton plume, papier, métal, matériaux divers, 100×332×332 cm environ. Collection Fondation Cartier pour l’art contemporain. © Bodys Isek Kingelez. Photo © Clérin-Morin

 Vue de l’exposition. À gauche : Olga de Amaral, Muro en rojos (1982), tenture de 7 mètres sur 8 mètres constituée de bandes rectangulaires tissées en laine et crin de cheval, cousues une à une sur un support en coton. Sur la mezzanine : une peinture de Fabrice Hyber et Sheroanawe Hakihiiwe (sans titre, 2023). Photo L’Agora des Arts.

 Solange Pessoa, Miraceus, 2004 (détail). Plumes de poulet sur tissu, huiles sur papier. Photo L’Agora des Arts.

 Joan Mitchell, La Grande Vallée VI, 1984. Huile sur toile. Photo L’Agora des Arts.

 Panamarenko, Panama, Spitzbergen, Nova Zemblaya, 1996. Acier, verre acrylique, peinture, moteur, tubes fluorescents, caméra, moniteur, matériaux divers, 600×705×344 cm. Collection Fondation Cartier pour l’art contemporain. © Panamarenko / Adagp, Paris. Photo L’Agora des Arts.