Vous consultez une archive !

Modigliani/Zadkine. Parenté d’inspiration et divergences

Un dialogue entre les œuvres de Modigliani (1886-1920) et de Zadkine (1888-1967) montre leur parenté d’inspiration et de style au début de leur carrière, avant que leur destin soit bouleversé.

Amedeo Modigliani, artiste juif d’origine italienne, est d’abord peintre à son arrivée à Paris en 1906, avant de se tourner vers la sculpture sous l’influence du sculpteur roumain Constantin Brancusi. Ayant quitté Montmartre pour s’installer dans le bouillonnant Montparnasse, il croise le sculpteur russe Ossip Zadkine venu lui-aussi à Paris, par ce que c’est là où « l’on devient véritablement artiste ». Et « nous sommes vite devenus des amis », témoigne Zadkine dans le manuscrit Lumière de Paris. Pour Zadkine, comme pour Modigliani, la découverte de la sculpture égyptienne au Louvre et de l’art africain et khmer au musée d’ethnographie du Trocadéro les pousse à remonter aux sources de l’archaïsme. Tous deux taillent directement dans la matière des figures humaines aux traits stylisés et simplifiés, aux yeux en amande, fermés ou vides. Des beautés inexpressives, presque abstraites. Si Modigliani allonge têtes et cous, que Zadkine cède un temps au cubisme des formes, on est toutefois frappé par leur parenté d’inspiration et de style et l’évidence d’une certaine complicité artistique. Elle ne durera pas.

La Première Guerre mondiale éclate. Zadkine s’engage comme brancardier en 1915, avant d’être gazé et d’entamer une longue convalescence. Les problèmes pulmonaires de Modigliani empêchent son incorporation. Au sortir de la guerre, les deux artistes se retrouvent brièvement, avant que leurs voies ne divergent à nouveau. Modigliani, sur le conseil de marchands, notamment Paul Guillaume, abandonne la sculpture (dont la poussière aggrave sa santé) pour revenir à la peinture de ses débuts. Il faut dire aussi qu’elle plait. « La peinture de Modi commençait à se vendre. La dame spéculation s’emparait de cet homme gentil, épris de haschisch et de vin. Je commençais à le voir moins souvent », raconte encore Zadkine dans ses mémoires (Le maillet et le ciseau, souvenirs de ma vie, 1962).
L’œuvre sculpté de Modigliani ne comptera finalement que 25 pièces, tandis que de 1914 à sa mort en 1920, il produira plusieurs centaines de tableaux consacrés principalement à la seule figure humaine ; des figures aux traits allongés et simplifiés, primitives et modernes à la fois, qui restent toutefois marquées par l’empreinte de la sculpture.
Rongé par l’alcool, les stupéfiants et la tuberculose, Modi le beau charmeur orageux, l’amant de la peintre Jeanne Hébuterne (qui ne lui survivra pas) meurt prématurément à 35 ans, entrant dans la liste des artistes maudits. La cote de ses œuvres va s’envoler après sa disparition...et l’augmentation du nombre de ses toiles aussi ! Une production de faux dont certains sont difficiles à démasquer.
Zadkine entame quant à lui une longue et fructueuse carrière de sculpteur et une profonde mutation. Libérant des courbes des blocs de pierre ou du bois, il revisite l’Antiquité comme en témoigne son intérêt dans les années 30 pour les thèmes mythologiques. Puis agrémente ses sculptures de réseaux d’arabesques et d’entrelacs, fusionnant l’humain et le végétal dans un rapport instinctif avec la matière.

Zadkine n’oubliera pas Modigliani. Dans son atelier niché dans le jardin de son musée peuplé de sculptures qui accueille la dernière partie de l’exposition, trois têtes sculptées en 1918 et 1919 par l’ancien maître des lieux y occupent une place centrale. Ces têtes aux visages allongés, traits stylisés, nez géométrisé et orbites pleines évoquent fortement celles sculptées par Modigliani avant 1914. Dans cette salle, une série de cariatides sculptées et peintes témoignent de l’intérêt que les deux artistes portaient à la relation de la sculpture à l’architecture. Si Zadkine en a réalisé de nombreuses en bois et en pierre, Modigliani a surtout dessiné des projets de cariatides, imaginant même bâtir un temple idéal à partir de ces femmes sculptées pleines de sensualité.
Aux murs, deux masques en bois de Zadkine (1924) rappellent les masques africains que Modigliani affectionnait également et dont on retrouve nombre d’exemples dans ses centaines de dessins préparatoires à ses têtes sculptées qu’il réalisa entre 1912 et 1914. Ces années d’avant-guerre, c’est aussi l’époque où Modigliani portraitise à la terrasse des cafés ses amis poètes, écrivains ou artistes tels Max Jacob, André Salmon, Chaïm Soutine, Chana Orloff et Zadkine. Ce dernier conservera précieusement le portrait fait par son ancien camarade qui a su en deux coups de crayons saisir ses traits, ses sourcils arqués, son épaisse frange de cheveux noirs. Le souvenir d’une amitié interrompue.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 14 novembre au 30 mars 2025
Musée Zadkine
100 bis, rue d’Assas 75006 Paris
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
Tarifs : 9€/7€
https://zadkine.paris.fr/


Visuels :

 Ossip Zadkine, Tête héroïque, 1909-1910. Granit rose. Paris, musée Zadkine.
Et Amedeo Modigliani, Tête de femme, 1911-1913. Calcaire. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne /Centre de création industrielle.

 Buste de Modigliani, 1949, plâtre, par Chana Orloff (1888-1968). Paris, ateliers-musée Chana Orloff.
Et Portrait de Zadkine par Marie Vorobieff, dite Marevna (1892-1984). 1955. Huile sur toile, Genève, Petit Palais.

 Amedeo Modigliani, Femme au ruban de velours, vers 1915. Huile sur papier collé sur carton. Paris, musée de l’Orangerie.
Et Ossip Zadkine, Tête de femme, 1924. Calcaire, incrustations de marbre gris, rehauts de couleur. Paris, musée Zadkine.

 Ossip Zadkine, Tête de femme, 1924. Calcaire, incrustations de marbre gris, rehauts de couleur. Paris, musée Zadkine.

 Amedeo Modigliani, Cariatide, vers 1913-1914. Graphite, lavis d’encre et pastel sur papier. Paris, musée d’Art Moderne.

 Ossip Zadkine, Vénus Cariatide, 1919. Bois de poirier. Paris, musée Zadkine.

 Amedeo Modigliani, Portrait de Zadkine, vers 1913. Graphite sur papier. Paris, musée Zadkine, legs de Valentine Prax (artiste et compagne de Zadkine), 1981.