Encore une expo Picasso penserez-vous ! Certes, et sachez qu’une cinquantaine d’exposition sont cette année au programme de ce cinquantième anniversaire de la disparition de Pablo Picasso (1881-1973). Mais cette petite expo-dossier -qui affiche peu de grandes toiles du minotaure andalou à l’œuvre protéiforme colossale- séduit par la pertinence de son propos illustré par une quarantaine d’œuvres de l’artiste dialoguant avec des œuvres préhistoriques, et par sa résonance avec la grande et passionnante exposition voisine consacrée aux artistes de la Préhistoire.
Très tôt Picasso s’est intéressé au mythe du premier artiste. Au début de l’exposition, une photographie agrandie montre la vitrine dans laquelle il conservait des objets trouvés. Des petits objets naturels, comme de simples cailloux ou des galets de plage qu’il pouvait à loisir détourner à des fins esthétiques, ou utilitaires comme le faisaient les premiers artistes. On y aperçoit aussi deux petits moulages de la Vénus de Lespugue dont l’original est présenté à quelques mètres de là, dans l’exposition « Arts et Préhistoire ». Admiratif devant cette petite sculpture en ivoire de mammouth, si fragile et imposante à la fois, dont on ne sait rien d’elle, à part qu’elle date du Paléolithique, qu’elle fut trouvée en 1922 en Haute-Garonne, qu’elle témoigne d’une pensée symbolique élaborée et qu’elle est considérée comme l’un des plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art, Picasso a composé dessins, peintures et sculptures à partir de l’été 1927, traduisant un souci nouveau de représenter le corps féminin.
Tout à la fois minérale et organique, sa Femme lançant une pierre, grande toile peinte en 1931 n’est pas sans évoquer par ses formes rondes et épurées ces vénus préhistoriques, et par ses ocres et noirs, les couleurs utilisées par les premiers artistes du paléolithique supérieur. La Vénus du gaz, ready-made réalisé en 1945 à partir d’un bec de gaz prélevé par l’artiste sur sa cuisinière et érigé en déesse de la fertilité, puise aussi son inspiration dans la grotte de Lascaux découverte en septembre 1940, interrogeant la permanence de l’art.
Même éternel retour de l’art comme « langage des signes » avec l’empreinte de sa main réalisée au sucre sur une plaque de cuivre par un Picasso se confrontant là encore aux saisissantes empreintes de mains qui ornaient la grotte d’Altamira en Espagne. Fasciné par les dessins dont il admirait « la précision des lignes gravées dans les cavernes », comme ces innombrables gravures d’animaux enchevêtrés découvertes dans la grotte des Trois-Frères (Ariège), Picasso a lui-même fait jaillir un fabuleux bestiaire d’un réseau serré de lignes, que ce soit au crayon ou au burin.
Loin d’être isolé, Picasso comme de nombreux artistes de l’avant-garde tels Giorgio De Chirico, Joan Miró ou André Masson, a subi l’attrait des origines de l’art et s’est plongé dans son fascinant mystère.
Ce parcours montre à quel point ce mystère de l’art préhistorique a nourri son œuvre.
Catherine Rigollet
Visuels : Picasso, Femme lançant une pierre, 1931. Huile sur toile, 130.5 × 195.5 cm. Musée Picasso-Paris. Succession Picasso 2023. Photo © L’Agora des Arts.
Picasso, Vénus du gaz, Paris janvier 1945. Brûleur de cuisinière. Musée national Picasso-Paris. Dation Maya Ruiz-Picasso, 2021. Photo © L’Agora des Arts.
Empreinte (au sucre) de la main de Picasso. Pablo Picasso, 1936. © RMN - Grand Palais - Mathieu Rabeau © Succession Picasso 2023.
Grotte des Trois-Frères (Ariège), panneau de la soupente sous le Sorcier, 1920-1938 (détail). Reproduction © MNHN / Abbé Henri Breuil. Photo © L’Agora des Arts.
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